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Incandescence d’Ayako Noda

Titre : Incandescence

Auteur : Ayako Noda

Editeur vf : Le Lézard Noir

Année de parution vf : 2020 – 2021

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Histoire : Ruri travaille dans une supérette pour payer ses études et elle est très intriguée par un homme austère qui vient chaque jour acheter deux paquets de cigarettes. Lorsqu’elle se décide enfin à lui parler, elle découvre qu’il est un yakuza, et qu’il est plus fougueux qu’il n’y paraît…

Mon avis :

Tome 1

Ayako Noda est une mangaka que j’avais découvert il y a 4 ans lors de la parution de son tout premier titre : Le monde selon Uchu, chez Casterman à l’époque. J’avais beaucoup aimé l’originalité de ce dernier que ce soit dans la narration, le dessin ou l’histoire et je m’étais dit que je suivrais l’autrice. Malheureusement, ce ne fut pas le cas de nos éditeurs français qui ont mis longtemps avant de ressortir un de ses titres alors qu’elle en a publié un certain nombre depuis au Japon. Heureusement, on peut compter sur le Lézard noir pour sortir de ses tiroirs de jolies pépites !

La voici donc de retour avec Incandescence, un seinen en 3 tomes terminé au Japon et qui est paru entre 2015 et 2017 là-bas. J’y ai retrouvé le goût de l’autrice pour ces adolescents et jeunes adultes un peu à la dérive, et surtout j’ai pris plaisir à revoir ses superbes compositions graphiques qui ont très joliment évoluées.

Dans Incandescence,  Ayako Noda met en scène la petite vie banale de Ruri, une étudiante qui vient d’un lycée pour filles, et qui travaille dans une supérette pour payer ses études. N’ayant jamais été trop en contact avec des hommes, elle a du mal avec eux, mais elle devient très vite intriguée par un homme austère qui vient chaque jour acheter deux paquets de cigarettes. Lorsqu’elle se décide enfin à lui parler, elle découvre qu’il est un yakuza, et qu’il est plus « fougueux » qu’il n’y paraît…

Sur une base somme toute classique, parce que les histoires d’étudiants qui bosse dans les supérettes et celles des yakuzas qui fascinent, on connait, l’autrice parvient à décrire le moment très particulier où l’adolescence est remplacée par l’âge adulte et où on a du mal à se trouver. L’héroïne, Ruri, correspond parfaitement à ce profil. Elle a longtemps été dans un milieu protégé et elle découvre désormais la vie. Elle oscille donc entre peur et fascination sans parvenir à trouver le juste milieu. Elle est d’une grande naïveté, même ses amis s’en rendent compte, mais étrangement on la laisse faire ses découvertes. Il faut bien grandir.

L’ambiance est très étrange, très japonaise si je puis dire. Tout est assez tranquille, nonchalant, dans la retenue. On ne dit rien, on suggère. L’héroïne regarde sa vie se dérouler devant elle sans trop intervenir. Elle est spectatrice. Jusqu’à sa rencontre avec Nosegawa, le mafieux. Celui-ci bouscule son univers, y apporte une dose brutale de réalité mais pas une réalité « normale », une réalité dangereuse et atypique du fait de qui il est. L’autrice amène tout ça avec beaucoup de facilité, comme si c’était naturel que cela se déroule ainsi. Comme si c’était naturel pour une toute jeune fille d’être à ce point fascinée envers et contre tout par un homme qui pourrait être son père et qui vit dans un milieu trouble.

Pour ma part, ça m’a mis assez mal à l’aise à plusieurs reprise. Je comprends sur le papier la fascination de Ruri, mais je ne la partage pas. Elle est cependant très bien mise en scène ici grâce à une narration graphique impeccable faite d’échange de regards, de jeux de cadrages, d’effets de zoom et de narration muette assez fascinante. Du coup, même si c’est une relation étrange qui se noue sous nos yeux, voire même sordide lors de certaines scènes, on ressent beaucoup de tendresse pour eux également. C’est la force du trait d’Ayaka Soda.

A l’image de sa couverture, à la fois douce, poétique et étrange, la lecture d’Incandescence ne m’a pas laissée indifférente. Moralement, j’ai du mal à approuver la relation que je vois naître sous mes yeux, même si rien de véritablement choquant n’est montré et que ça reste très soft. Mais l’ambiance qui se dégage du titre, la façon que l’autrice à de parler de cette période charnière de la vie et surtout son langage graphique m’ont eux beaucoup plu. Je serai donc au rendez-vous pour la suite, pour voir ce qu’il en retourne.

Tome 2

Le premier tome d’Incandescence était loin de m’avoir laissée indifférente. J’avais déjà été séduite par les compositions et la sensibilité de l’autrice mais ma morale m’avait empêchée de pleinement apprécier le titre. Ce n’est plus le cas.

Dans ce deuxième et déjà avant-dernier tome, j’ai vraiment été frappée par la force de la narration et du récit d’Ayako Noda. Elle met en parallèle l’histoire d’un premier amour et celle d’une première vengeance. Tourment sur tourment, ça donne une lecture qui m’a totalement chamboulée.

Notre jeune héroïne naïve, Ruri, est confrontée à des sentiments qui la dépassent. C’est superbement mis en image par une narration parfois silencieuse qui frappe fort et met en avant à la fois le côté romantique de ce premier amour mais également son côté charnel avec une sensualité rare qui évite l’écueil de tomber dans le trash ou voyeuriste ce qu’on aurait pu craindre vu le cadre. J’ai vraiment été charmée par le trait très âpre et poétique de la mangaka.

Ruri effectue un vrai voyage dans le monde cruel des adultes dans ce tome. En essayant de comprendre ses sentiments, elle cherche à comprendre celui qui les lui inspire et plonge un peu plus dans le monde sordide et complexe de Nosegawa, le yakuza. Pourtant par un superbe effet narratif, celui-ci est presque le grand absent du tome. En effet, c’est à la fois par l’entremise de son bras droit, Hiwasa (trop beau gosse au passage ><) et d’une hôtesse complètement folle, Kamoda/Akari, que nous allons le découvrir et que c’est compliqué.

Avec ce mystérieux quadra/quinqua, il est question de famille explosée, de goût des vieux pour les jeunes filles. On s’interroge sur une relation passée qui aurait mal tournée. C’est dur, limite glauque et l’autrice rend à merveille la souffrance des personnages, en particulier de la fameuse Kamoda/Akari qui nous plonge vraiment dans ses tourments avec force. Avec ce personnage, j’ai eu l’impression de lire un chapitre du terrible Tokyo Vice de Jake Adelstein que j’avais tant aimé. On nous parle de suicide, de vengeance, de deuil mal géré, de bar à hôtesses, de prostitution. C’est raide mais tellement bien écrit.

Ruri observe cela avec son regard aveuglé par l’amour, mais elle ne reste pas passive pour autant, c’est ce qui me plaît. Elle semble froide et un peu naïve voire fragile, mais elle observe, analyse et agit. Elle ne se contente pas de ce qu’on lui dit. Elle réfléchit par elle-même aussi. J’aime. J’aimerais cependant une confrontation avec Nosegawa dans le dernier tome car ce qu’on raconte sur lui fait froid dans le dos.

Mais il n’y a pas à dire, cela a beau être potentiellement glauque, je trouve qu’il se dégage une très belle force de ce titre, aussi bien dans le sentiment amoureux naissant que dans la caractérisation d’un homme mur issu du milieu yakuza, et la poésie de la composition graphique enfonce le clou. Petit coup de coeur pour ce tome !

Tome 3

Seinen réaliste sur une romance entre une très jeune femme et un yakuza vieillissant, nous voici aux portes de sa conclusion, qui comme le reste laissera des traces sur le lecteur.

J’ai été frappée tout au long de la série par la justesse du traitement des émotions de notre héroïne et de son entourage et ce dernier tome n’y déroge pas. L’autrice a vraiment pris le temps de nous conter cela et a su prendre le recul nécessaire pour nous le transmettre de la manière la plus crue avec cependant une pointe de poésie un peu amère. Cependant c’est un traitement très japonais-centré qui pourra faire grincer des dents sur plusieurs points.

En effet, si j’ai beaucoup aimé la maturité du récit, le cadre avec les yakuzas, l’inéluctabilité de la romance et le rôle des proches de chacun, j’ai en revanche eu beaucoup de mal avec certains choix et traits de caractère des personnages même en les remettant dans leur contexte. Ainsi, je ne peux pas dire en refermant cette série que l’autrice m’a ému par une belle romance âpre mais positive. Au contraire, j’ai trouvé celle-ci particulièrement rude et nocive car on se retrouve avec une héroïne qui va aller très loin (trop pour moi) par amour, et qui va se complaire dans un rôle de soumise qui me dérange énormément. On retrouve chez elle, le portrait type de la femme japonaise douce et obéissante qui aime prendre soin de son homme et ça me hérisse complètement…

Pourtant, je trouvais la romance vraiment intéressante dans un premier temps. J’ai aimé voir la description de ce premier amour obsédant et envahissant. J’ai aimé apercevoir le héros céder peu à peu à ses élans malgré ses réticences dues à son passé entre autre. Si l’héroïne avait été un peu plus autonome, assurée, affirmée, je pense que cette fin serait bien mieux passée chez moi.

Il y a une belle dramatisation de l’histoire qui m’a vraiment plu sous la plume douce, amère et poétique de l’autrice, dont le dessin très fin et particulièrement intéressant dans les lignes de regard, m’a totalement séduite. J’ai eu un sentiment d’inéluctabilité tout du long. Ça m’a saisie et jamais lâchée mais j’ai adoré. C’était beau de voir comment tout finissait par les rapprocher peu importe ce que le monde autour cherchait à faire pour les éloigner.

Au passage, je suis fan des personnages de l’ex-femme et de la meilleure amie, deux femmes vraiment indépendantes et bien plus modernes que l’héroïne, surtout la seconde. Elles sont parfaitement croquées dans leurs rôles de femme en colère pour l’une, d’amie prête à tout pour protéger sa meilleure amie pour l’autre. J’ai vraiment adoré leur portrait respectif, de même que j’ai trouvé chouette la figure de l’ami du patron, qui a un petit côté décalé amusant vu son milieu.

Le déroulé de la seconde partie était totalement prévisible mais n’enlève rien à la beauté du drame qui se joue sous nos yeux. J’ai beau décrier le manque de modernité de l’héroïne, je n’ai pu qu’être touchée face à ces moments passés avec l’homme qu’elle aime et idolâtre plus que tout. En plus, l’autrice conte cela avec beaucoup de pudeur et de subtilité jusqu’à un dénouement effroyable dont la mise en scène très cinématographique et les conséquences ultérieures n’ont pas été sans me rappeler le cinéma de Pedro Almodovar. Je ne sais pas si je suis la seule à avoir eu ce sentiment. En tout cas, le dernier chapitre m’a fait froid dans le dos.

Je garderai donc un très beau souvenir dans l’ensemble de cette série. Il y a juste certains choix autour de l’héroïne qui sont trop typés japonais pour moi et pas dans le bon sens… Mais l’aura que dégage l’histoire, la beauté du trait de la mangaka et la force de ce récit me resteront en mémoire.

Ma note : 15 / 20

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