Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Léviathan de Shiro Kuroi

Titre : Léviathan 

Auteur : Shiro Kuroi

Éditeur vf : Ki-Oon (seinen)

Année de parution vf : 2022-2023

Nombre de tomes vf : 3 (série terminée)

Histoire : Au fin fond de la galaxie, le Léviathan, un immense vaisseau spatial, flotte à la dérive. Quand des pilleurs d’épaves s’y introduisent, ils découvrent le journal intime d’un collégien, Kazuma, relatant les événements qui ont eu lieu dans les entrailles du navire… À sa lecture, l’évidence s’impose : un survivant de la catastrophe se cache quelque part dans le dédale des ruines !
Des années plus tôt, le jeune Kazuma est en plein voyage scolaire vers la Terre. La fête tourne court quand des explosions d’origine inconnue détruisent une partie de la coque du vaisseau ! Voilà les passagers immobilisés au milieu de nulle part… L’adolescent et sa camarade Futaba surprennent alors une conversation entre leur professeur et un robot de maintenance : les réserves d’oxygène sont insuffisantes pour tenir jusqu’à l’arrivée des secours… Le seul espoir de survie est un caisson de cryogénisation niché au cœur du géant de métal. Or, il ne peut contenir qu’une personne… Malheureusement pour les élèves, l’enseignant comprend vite qu’il a été entendu. C’est le début d’une lutte sanglante pour préserver le secret !
Dans un décor angoissant dépeint avec une minutie extrême, Léviathan nous emporte dans un voyage au bout de l’enfer. Comment garder son humanité dans l’étendue glacée de l’espace ?

Mon avis :

Tome 1

Nouvelle création Ki-Oon comme ils ont le chic pour en dénicher. J’adore déjà Lost Children dont je me régale depuis 2018 et Leviathan dans son genre démarre encore mieux.

Découvert dans le Ki-Oon mag de l’année dernière, la série de Shiro Kuroi est une exclusivité française annoncée en 3 tomes et se déclinant dans un format bâtard entre celui des seinen classiques et des grands formats de la collection « Latitude », le tout avec une reliure souple, une jaquette amovible au dessin qui nous interpelle directement par le regard du personnage et des tranches teintées de noir pour mieux nous plonger dans l’ambiance.

L’ambiance, c’est ce qui fait tout le sel de cette série. A peine entrouvrons-nous le tome qu’on se sent plonger dans un mix d’Abyss (pour l’exploration) et d’Alien (pour le huis clos oppressant) avec une grosse pincée de Sa majesté des mouches (pour les enfants cruels), c’est splendide ! On sent que nous sommes en présence d’un mangaka qui maîtrise à merveille les codes de cette SF spatiale à demeure où le vaisseau est le lieu de tous les dangers et les enfants la source de toute la folie, c’est passionnant. Alternant entre un présent où des pilleurs d’épaves explorent le vaisseau, lisant le journal d’un des derniers passagers et cherchant à savoir ce qui a eu lieu, et un passé où l’on suit un groupe de gamins en voyage scolaire à qui il arrive une grosse tuile, on est direct accrochés.

L’histoire est fort classique en soi. On se retrouve sur un vaisseau aux allures de bateau fantôme, qui a vécu de sévères avaries et a été déclaré perdu, que des hommes explorent dans le présent. L’ambiance est stressante comme dans Abyss de Cameron. Nous attendons à chaque tournant de tomber sur ce qui a mal tourné et le dessin oppressant de l’auteur aide beaucoup en cela à nous y immerger. Découvrir à travers le journal d’un des anciens passagers ce qui a eu lieu est aussi un classique du genre mais c’est très bien fait. A ses côtés, on est au plus près de ceux qui perdent complètement la tête suite à la catastrophe. On suit caméra à l’épaule la plongée dans le côté sombre de l’âme humaine de chacun des survivants et c’est fascinant.

Il faut alors avoir le coeur accroché car avec un trait qui se rapproche de celui d’Oshimi, notamment dans ses dernières séries ultra dérangeantes que sont Happiness et Les Liens du sang, l’auteur nous entraîne dans les tréfonds de l’âme humaine et ce n’est pas beau à voir. On oscille sans cesse entre fantasme et réalité. La peur se saisit vite de nous et un climat de terreur et de folie froide règne vite car petit à petit tout se déglingue. Le héros est un témoin intéressant de cela car il assiste à des défaillances clés de ces camarades et subit même celle de la fascinante et effrayante Futaba, qui rappelle tant la figure de la mère dans Les liens du sang quand elle s’en prend à lui en mode psychopathe.

On se retrouve dans un classique de la SF parfaitement digéré, desservi par un rythme entêtant et stressant où la folie semble peu à peu gagner tout le monde et interroge sur la réalité de ce qui se passe. Un climat oppressant de huis clos où le danger est partout et la mort au bout du tunnel, le tout dans un trait semi-réaliste fait d’une multitude de petits traits parfaitement réussi car il nous fait parfaitement ressentir ce malaise qui s’empare du héros et des pilleurs. C’est fascinant.

Avec sa conclusion semblant nous conduire vers une Battle Royale en plein espace, Leviathan propose une excellente entrée en matière pour ce nouveau projet Made In Ki-Oon vraiment soigné pour lequel je ne regrette pas d’avoir attendu. Il arrive ainsi à point nommé pour nous saisir et nous sécher. Excellent !

(Merci à Ki-Oon pour cet envoi et leur confiance !)

 >N’hésitez pas à lire aussi les avis de : L’Apprenti Otaku, Hungry Bug, Floriane, Vous ?

Tome 2

Fort de son ambiance happante, j’étais impatiente de replonger dans ce huis clos spatial si singulier et en même temps plein de souvenirs d’autres lectures. Avec un tome 2 qui consolide, Shiro Kuroi fait le job, mais reste encore avare de progression et frustre un peu.

J’ai beaucoup aimé retrouver l’ambiance de Leviathan, avec cette double narration entre passé et présent, des explorateurs tombants sur une carcasse de vaisseau vide où il semble s’être produit bien des événements. Toujours aussi peu présents, c’est au travers du journal qu’ils trouvent que nous est fait le récit des événements passés et quels événements !

Un peu comme dans un mélange étrange de Dragon Head et L’école emportée, ce survival âpre nous oppresse et nous suffoque autant qu’il nous fascine. J’ai beaucoup le ton à nouveau très dur ici. Ça se bat et déchiquette les autres à tours de bras. On enchaîne les combats, luttes de pouvoirs et autres actes de violence. La survie est la porte ouverte à tout. On se retrouve ainsi d’un chapitre à l’autre à suivre des personnages qui tels des anonymes sont voués à vite disparaître dans cette violence aveugle. C’est saisissant.

Le rythme est soutenu, le souffle en vient presque à nous manquer au milieu de toute cette spirale de violence. Le revers de la médaille, c’est qu’à force de vouloir nous montrer des corps qui s’écharpent et des esprits à la dérive, on n’en retient que très peu. La plupart ne sont que des figurants pour lesquels on est triste sur le moment mais qu’on oublie aussi sec. Tout semble vain. On ne retient que cette violence de la race humaine en perdition.

Les plans n’ont rien de compliqué, éradiquer l’autre et être le dernier. Il n’y a pas vraiment de complexité ici et pourtant c’est archi percutant, car on sent que derrière cette violence aveugle, il y a un fond de vérité et que oui en situation extrême comme celui, on retrouve des hommes prêts à commettre des viols, des meurtres, des mutilations, etc. C’est la froide vérité sous des habits d’enfants, ce qui choque peut-être un peu plus, même si on a tendance à l’oublier au fil des pages tant ils semblent avoir fait un bond vers l’âge adulte.

Cependant, la série évolue peu. Ce tome n’est qu’un enchaînement de chausse-trappe et autre affrontement avec morts à la clé. Les personnages principaux du tome 1 sont toujours là. Il n’y a toujours pas d’élu, toujours de plan subjuguant, juste la réalité brute. Dans le présent/futur, les explorateurs ne sont pas allés bien loin au-delà de ce robot qui les a accueillis et du journal qu’ils ont trouvé. Ça stagne.

Côté dessin, Shiro Kuroi nous promet une évolution. Je n’ai pas trouvé celle-ci flagrante. A l’inverse, j’ai peut-être eu le sentiment d’une régression avec une aseptisation de son trait pour devenir quelque chose de plus consensuel et déjà vu dans le seinen, malgré toujours ce côté très crayonné qui lui est propre. J’ai été moins attirée par ses prouesses que lors du tome 1. Même, j’ai trouvé certains passages lors des combats un peu rigides et maladroits. J’attendais plus au vu de ses promesses.

Tome de transition, Leviathan fait ici une proposition toujours aussi implacable dans le portrait de cette jeunesse mise face à l’indicible. Le mangaka cependant avance peut dans son intrigue ici, se contentant de déployer sa partition, ce qui est un peu dommage. C’est toujours aussi oppressant mais on attend un scénario peut-être plus surprenant et moins convenu. C’est beau d’avoir des références percutantes mais il faut maintenant en faire quelque chose d’original. Allez, il reste encore de beaux jours devant nous pour l’obtenir !

Tome 3 – Fin

Alors que je ne pensais pas que la série se terminerait si vite, j’ai été surprise par la qualité de ce dernier tome, qui souligne encore combien je trouve le travail de ce jeune auteur autodidacte prometteur. Une version réellement percutante de Sa Majesté des mouches dans l’espace !

Le rythme avait un peu baissé dans le précédent tome avec un focus sur la battle royale qui avait pris place et la psychologie de ces adolescents confrontés à l’indicible. Je voyais mal comment boucler l’histoire en un tome. L’auteur m’a vite détrompée. Il rattache les wagons, débroussaille l’ensemble, va à l’essentiel et propose une conclusion satisfaisante en tout point de vue sur les multiples ponts qu’il avait mis en branle. Bravo.

Shiro Kuroi avec des influences évidentes, qu’il cite lui-même en fin de tome, nous apporte le dénouement attendu ou presque de cette tragédie qui se jouait à bord. Entre trahison, schizophrénie et expérience diabolique, il ne nous épargne rien et pourtant tout fait sens. Je n’ai pas été surprise de découvrir ce que cachait le journal que lisait nos pilleurs de tombes, même si la tragédie est superbement orchestrée entre les pages du mangas avec des références évidentes à certains classiques. Je l’ai été un peu plus par l’identité de la personne dans la capsule que je n’avais pas vu venir. Il faut dire que les indices étaient minces jusqu’à présent et le retournement bien senti jusqu’au bout. Là aussi tout le monde aura reconnu où l’auteur a puisé son idée. De même, la définition finale de ce projet Léviathan c’est imposé comme une évidence même si je n’avais pas deviné qui l’incarnerait. Tout cela, ce sont des ressorts classiques de romans de SF.

Mais même si c’est classique, même si c’est prévisible, le récit du dénouement de ce huis clos est passionnant. L’auteur joue à merveille sur les temporalités, les différents supports de mémoire, les différents narrateurs et les différentes morales en jeu. Il noue et dénoue tout cela dans ce cercueil volant où le temps est compté, ce qui crée une tension encore plus stressante face à l’inéluctable sur le point de se produire dans le passé comme dans le présent. Et pourquoi ? Pour un dénouement tellement doux amer qu’il fend le coeur et le serre en même temps. Personne n’est blanc ou noir dans cette histoire et le portrait tout en nuance d’une humanité en proie à l’explosion, désormais en train de vivoter pour se reconstruire est bien réaliste. Chapeau ! Shiro Kuroi a vraiment bien su se saisir de la moelle des oeuvres et des auteurs qu’il a croisé dans sa jeune carrière.

D’ailleurs, très bonne idée de l’éditeur que cette interview en bonus pour mieux connaître son parcours et celui de son oeuvre.

Trilogie de SF surprenante de qualité quand on connaît la jeunesse de l’auteur. Shiro Kuroi y transpose de nombreux tropes du genre pour nous proposer un récit sombre et violent sur une humanité représentée ici par un groupe d’enfants sous le regard scrutateur d’adultes bien cruel. C’est une proposition terrible mais tellement addictive et étouffante que ce fut un régal de suivre le destin de ceux-ci et des pilleurs d’épaves venus les retrouver des années plus tard. Huis clos violent, huis clos stressant et critique sociétale punchy, Léviathan est une belle réussite en seulement 3 tomes.

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9 commentaires sur “Léviathan de Shiro Kuroi

  1. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, on avait déjà rapidement échangé au sujet de ce titre tous les deux, et je suis ravi de voir que le côté Sa Majesté des Mouches n’est pas une vue de l’esprit de l’obsédé du roman que je suis 😄

    On se retrouve donc tout à fait en phase dans nos avis sur le titre ma foi.

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    1. Peut-être lors de la sortie du titre dans le mag, ça me dit quelque chose ^^
      Oui oui ton obsession n’en est pas une où est partagée lol
      Excellent titre sinon au démarrage vraiment efficace 👌

      J’aime

  2. Je suis un peu moins emballé que toi après lecture du premier tome même si j’ai dans l’ensemble apprécié. J’aime l’ambiance, le dessin, le côté « Sa majesté des mouches » mais j’ai trouvé certaines scènes un peu plan plan et prévisibles et la fin du tome me fait un peu peur pour la suite mais dans l’ensemble c’est un belle sortie! (et un très beau livre)

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    1. Je pense voir un peu ce que tu veux dire. Oui, il y a effectivement des scènes attendues, que j’ai vu comme des hommages ou très grosses envies de pondre sa réinterprétation de la chose, mais qui peuvent paraitre plan-plan c’est vrai. J’espère que la suite saura nous satisfaire à toutes les deux 😉

      Aimé par 1 personne

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