Livres - Fantasy / Fantastique

Rouge de Pascaline Nolot

Titre : Rouge

Auteur : Pascaline Nolot

Éditeur : Gulf Stream (Electrogène) / Pocket – Les étoiles montantes de l’Imaginaire  (Fantasy)

Année de parution : 2020 – 2023

Nombre de pages : 336

Histoire : « Ce qu’il vit avant tout, c’était l’immonde coloris écarlate qui rongeait à moitié le nouveau-né ainsi que l’infâme petite boule de peau surplombant son regard. Le monstre avait engendré un autre monstre !
– Comment devons-nous l’appeler ? lui demanda la vieille femme.
Il contempla le nourrisson en pleurs avec aversion. Puis il vomit sa sentence en un mot :
– Rouge ! »
Accroché au versant du mont Gris et cerné par Bois-Sombre se trouve Malombre, hameau battu par les vents et la complainte des loups. C’est là que survit Rouge, rejetée à cause d’une particularité physique. Rares sont ceux qui, comme le père François, éprouvent de la compassion à son égard. Car on raconte qu’il ne faut en aucun cas toucher la jeune fille sous peine de finir comme elle : marqué par le Mal.
Lorsque survient son premier sang, les villageois sont soulagés de la voir partir, conformément au pacte maudit qui pèse sur eux. Comme tant d’autres jeunes filles de Malombre avant elle, celle que tous surnomment la Cramoisie doit s’engager dans les bois afin d’y rejoindre l’inquiétante Grand-Mère. Est-ce son salut ou un sort pire que la mort qui attend Rouge ? Nul ne s’en préoccupe et nul ne le sait, car aucune bannie n’est jamais revenue…

Mon avis :

A de rares exceptions, je fais une confiance aveugle à ce nouveau label des éditions Pocket : « Les étoiles montantes de l’imaginaire » qui très souvent fut un dénicheur de pépites et autres belles plumes pour moi. Ici avec Rouge, je partais en plus confiante, ayant lu auparavant l’avis plus qu’enthousiaste d’Audrey qui m’avait déjà conseillé il y a peu Le dieu dans l’ombre duquel je rapproche ce titre et qui avait été un coup de coeur.

Les revisites de contes, cela a toujours été mon dada, aussi bien en roman qu’en album jeunesse, enfin surtout en album jeunesse, car les romans, eux m’ont parfois déçue dans mes attentes. J’aime quand les revisites se font dans soit dans des ambiances très drôles et décalées, soit dans un fantastique sombre et un peu effrayant. C’est ce dernier choix qu’a fait Pascaline Nolot ici et j’en fut ravie.

Il faut dire qu’on avait déjà quelques indices avec les couvertures inquiétantes des versions poche et grand format, mais en plus dès qu’on ouvre le volume, nous sommes accueillis par les mots percutants de Charles Perrault : « Rien au monde, après l’espérance, n’est plus trompeur que l’apparence. », et ceux très sombres de Pascaline qui vont donner le ton de son histoire : elle sera riche, sombre, mordante et entêtante !

« Rouge. Les babines se teintèrent d’écarlate tandis que les crocs lacéraient la viande. Enragées par les gerbes de sang qui jaillissaient des chairs à vif, les mâchoires broyaient les os sans pitié et les panses affamées se gavaient. »

Rouge c’est l’histoire implacable de femmes dans la décor ancien et patriarcal d’une ancienne ruralité où tout était sujet à mysticisme. On y fait la connaissance d’une enfant qui fut appelée Rouge à cause la tâche qui occupe la moitié de son, pourtant, beau visage. Rejetée de tous, sujet d’opprobre et de moqueries, voire de persécutions, elle sera envoyée, comme la tradition le veut dans la mystérieuse forêt bordant le village dès qu’elle aura ses premiers sangs et y fera alors des découvertes sombres et cruelles sur la société l’ayant envoyée là et son propre passé.

J’ai de suite été frappée par le ton très cru, sombre et violent de l’autrice, mais également poétique et émouvant, qui veut faire de cette histoire un récit coup de poing pour dénoncer un patriarcat certes ancien dans ce décor mais avec des relents très actuels. Pascaline va ainsi avec talent et brio mélanger inspirations moyenâgeuses et fantastiques avec défense du droit des femmes, et ce sera percutant ! L’histoire de Rouge, cela pourrait être celle de bien des jeunes filles et cela le fut et l’est encore. L’histoire de sa mère est encore plus représentative et c’est le drame qui me ravagea tout au long de l’histoire.

J’ai ainsi beaucoup aimé plonger dans cette sombre ambiance fantastique à l’ancienne, à l’époque où les contes pour enfants n’avaient pas été aseptisés par Disney mais revêtaient encore une belle cruauté nécessaire pour appréhender les dangers du monde. Ici, c’est avec un mélange du Petit Chaperon Rouge et d’Hansel et Gretel que l’autrice nous fait aller à la rencontre de Rouge, qui va se perdre en forêt et faire la rencontre d’une femme qu’on présuppose sorcière, le tout en compagnie de loups bien étranges, tandis que son petit monde, lui, est resté tranquillement au village à vivre sa vie campagnarde faire de mauvais tours, mauvaises langues, et moments heureux au détriment des autres. Mais surtout tandis qu’une vérité cachée se terre.

Le choix de double narration fait par l’autrice d’entrée de jeu fut fort judicieux. Cela apporta mystère et tension dès le début de l’histoire, mais aussi âpreté et sordidité, nous empêchant de lâcher le livre avant d’avoir compris l’ampleur de ce qu’il s’était passé. En nous faisant remonter les sources du drame et de la folie de la mère de Rouge, Pascaline Nolot nous prend aux tripes et nous les retourne littéralement car elle ose décrire et raconter l’indicible, et ce, sans prendre de gant. C’est pourtant malheureusement quelque chose de fort banal. Le conte vient ainsi ici au service de la dénonciation tour à tour du viol des femmes, des mariages forcés de femmes, des persécutions des femmes différentes, mais aussi du caractère fallacieux de ces violeurs qui se croient tout permis à cause de l’impunité qu’ils reçoivent et des vrais héros qui sont bien souvent méconnus. C’est âpre, c’est sombre, c’est violent.

La mise en scène choisie par l’autrice fut une merveille de poésie fantastique pour moi. Elle a littéralement fait vivre ces lieux que traverse Rouge et qui vont participer à sa métamorphose, malheureusement pas forcément lumineuse et positive comme on l’entend habituellement, mais du moins éclairante : celle de la réalisation de ce que c’est d’être une femme dans cette société et des dangers encourus, ainsi que de la façon de se prémunir. Il y a un discours très puissant sur les femmes qui doivent apprendre à se défendre et se méfier seule car elles doivent pouvoir aussi compter sur elles-mêmes et pas seulement sur les autres et sur les hommes. L’utilisation de la forêt comme révélateur fut donc un élément qui m’a beaucoup plu. Source de peur mais aussi source de vie et de renouveau, l’autrice montre le voile qui la recouvre et la richesse cachée qu’on peut y puiser. J’aurais aimé parcourir ce lieu tellement imprégné de magie au féminin.

Il faut cependant vivre l’histoire de Rouge pour en ressentir toute la puissance. Elle est rude, elle fait mal. L’autrice ne nous épargne pas et ce ne sera pas une sinécure que d’assister à sa métamorphose de fille à femme. C’est plutôt un parcours du combattant où l’avertissement de Perrault sera toujours vrai : il faut se méfier des apparences. Mais une puissante beauté s’y cache et derrière les nombreuses épreuves vécues par Rouge, il est beau de voir une femme toujours prête à se relever et à se battre, sans jamais rien lâcher, apprenant à se faire confiance et à s’apprécier. Car il est également beaucoup question des apparences extérieures effectivement dans ce titre. On dénigre l’héroïne pour son apparence non conforme qu’on attribue au malin, comme actuellement quelqu’un de différent de la norme peut être moqué sur les réseaux sociaux et surtout une campagne à charge. Là c’était des maltraitances IRL, désormais c’est sur les RS, mais c’est la même chose ! Et pourtant, on sait bien qu’il y a de la beauté en toute chose, comme le démontre à nouveau l’autrice ici, mais cela a toujours besoin d’être montré.

Le seul défaut pour moi de ce roman, c’est qu’il manque peut-être un peu de nuances sur les hommes. Ce sont tous des pourritures dans ce titre, il n’y en a pas un pour sauver l’autre, même chez les loups. L’autrice semble avoir eu besoin de les rendre tous monstrueux, même ceux dont l’apparence – justement – ou les mots auraient pu nous faire croire le contraire. Je veux bien qu’on nous montre que derrière des belles paroles, un beau visage, un homme peut être un prédateur, mais qu’absolument tous les hommes de l’histoire soient mauvais, c’est un peu trop. SPOILER : Ce jusqu’au-boutisme a même poussé l’autrice a transformé le seul homme bon de l’histoire, l’ami de toujours de Rouge, en fille déguisée en homme depuis sa naissance pour être protégée des hommes… Cela va trop loin pour moi et ça m’a un peu gâché le final, surtout qu’il n’y avait nullement besoin de romance à mon goût.

Je peste souvent sur les titres à destination de la jeunesse, mais ici l’autrice et son éditeur montrent qu’on peut leur offrir un texte puissant, intelligent et dur sans qu’on ait besoin d’édulcorer. Prévenir les jeunes des dangers de la vie passe par là. Édulcorer sans cesse, c’est passer à côté. En reprenant pour cela les contes, sources originelles de prévention pour les plus jeunes, l’autrice se place dans cette lignée fantastique éducatrice que j’aime tant. Son histoire est dure, rude, bouleversante, chamboulante, révoltante mais puissante et marquante. On ne l’oubliera pas. On n’oubliera pas l’histoire et le combat de Rouge et des femmes autour d’elle.

PS / Si vous avez aimé, l’autrice parle à nouveau des violences faites aux femmes dans le court texte Gris comme le coeur des indifférents chez ScriNeo cette année. A lire 😉

(Merci à Pocket pour cette découverte !)

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Light and smell, Amanda, Saiwhisper, Calysse, Ibidou, Geekosophe, Madame Point Virgule, Monologues de l’esprit, Vous ?

20 commentaires sur “Rouge de Pascaline Nolot

  1. Comme tu le sais, j’ai adoré ce roman dont tu mets parfaitement en avant les atouts, la puissance et la dureté des thèmes abordés ! J’aime beaucoup ce que tu dis sur l’importance de ne pas édulcorer l’horreur et l’indicible…
    Quant à Rouge, comme toi, j’ai aimé la voir toujours prête à se relever et se battre malgré les épreuves.

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    1. Oui je trouve qu’on a un rapport paradoxal aux enfants de nos jours. D’un côté, on peut les mettre face à des choses très violentes via les écrans qu’on contrôle mal avec eux. De l’autre, on cherche à édulcorer ce qu’il lise pour « les protéger »… Pas sûre que ce soit la solution. Je préfère l’accompagnement éclairé comme ici.
      En tout cas, je te remercie à nouveau pour cette découverte 💔

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  2. J’attendais cet avis avec impatience et je suis plus qu’enthousiaste à l’idée de le découvrir à mon tour prochainement ! Direction ma WL en position de tête !
    La plume de l’auteure a l’air plus que savoureuse et bousculante et j’avoue que j’ai besoin d’être heurter par mes lectures bien trop calmes ces derniers temps.

    Merci pour la découverte !

    Aimé par 3 personnes

  3. Ah, je l’attendais sagement et là voilà.. Merci pour cette chronique Tachan ! 😊 C’est aussi l’avis de Audrey qui m’avait intriguée à propos de ce roman. L’écriture sombre et cru mêlé de poésie me donne envie d’en savoir plus, ayant déjà apprécié sa plume dans un roman jeunesse (Sur l’écorchure de tes mots) ou elle était très douce et émotionnelle. Je suis curieuse de voir comment elle use de sa plume ici, dans un registre plus noir. Les thèmes abordés (viols, abandons, mariages forcés) sont forts, violents, et en lisant ta chronique j’ai déjà le ventre noué. Concernant ton bémol (je n’ai pas lu ton spoiler), je suis tout de même d’accord avec toi : il faut un juste milieu, même dans un monde patriarcal, tous les hommes ne sont pas des monstres et si c’est effectivement comme ça que son représenté les êtres masculins, c’est dommage de ne pas avoir modérer un peu cette partie. Hormis cet élément, ton retour confirme mon envie de découvrir Rouge ! Audrey et toi, vous savez trouvez les mots pour nous convaincre. 😉 Encore merci d’avoir partagé cette lecture avec nous Tachan ! (Et les deux couvertures sont juste top, il va falloir faire un choix concernant le format, maintenant 🤭)

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    1. Ton commentaire me fait extrêmement plaisir car ce n’est pas toujours simple de passer après Audrey xD
      Tu me tentes avec cet autre roman d’elle que tu as lu et où tu as apprécié sa plume. J’ai envie de continuer à découvrir sa bibliographie.
      Quant à la couverture, mon choix est fait personnellement, mais je ne voudrais pas t’influencer xD
      Bonne future découverte à toi et accroche-toi !

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      1. Oh ne te sous-estime pas Tachan, vous êtes toutes deux très douées pour nous faire envie et partager votre amour de la lecture ! 😊
        Le roman « Sur l’écorchure de tes mots » était très tendre sur une histoire conflictuelle entre un frère et une sœur qui n’ont plus grand chose en commun. Je n’ai réalisé qu’il y a peu de temps, qu’il s’agissait de la même auteure, car je ne m’attendais pas à la retrouver dans un cadre plus sombre et je n’ai pas fait le lien tout de suite en voyant son nom sur la couverture. D’ailleurs en parlant de couverture (et sans aucune influence !), je crois bien que c’est l’édition Pocket qui remportera la mise dans ma bibliothèque. 😁 Pourtant, j’aime les deux, mais elle a ce quelque chose de mystique, de cruel, de dangereux qui m’attire beaucoup. 😇
        Merci beaucoup, je prend bonne note de ton conseil ! 😉

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      2. C’est très gentil à toi. On est nombreux, je pense, à toujours trouver l’autre meilleur(e) ><
        C'est vrai que parfois, on n'imagine pas une autrice jouer ainsi sur deux tableaux très différents.
        C'était aussi la Pocket qui avait ma voix, comme quoi… Et sans influence aucune !

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      3. Je ne peux qu’approuver tes dires Tachan, nous sommes certainement nombreux dans ce cas. 😇
        Pascaline Nolot sait apparemment jouer la carte de la diversité, c’est tout à son honneur ! Et c’est aussi une raison qui fait que je souhaiterais en découvrir plus sur ses ouvrages. 😉
        Ah non, aucune ! J’ai choisi librement, en mon âme et conscience. 😆

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