Livres - Science-Fiction

La Fille qui se noie de Caitlín R. Kiernan

Titre : La Fille qui se noie

Auteur : Caitlín R. Kiernan

Traduction : Benoît Domis

Éditeur vf : Albin Michel Imaginaire

Année de parution vf : 2023

Nombre de pages vf : 378

Histoire : « Je vais écrire une histoire de fantômes.
Une histoire de fantômes avec une sirène et un loup. »
Ainsi commence le récit d’India Morgan Phelps.
Schizophrène, tout comme sa mère et sa grand-mère avant elle, Imp ne peut faire confiance à sa perception de la réalité et seuls les médicaments l’aident à garder le contrôle. Pour exprimer ses troubles intérieurs, elle décide d’écrire un roman, ou une autobiographie, ou une fiction… elle ne peut faire la différence. Seule l’écriture lui permet d’entrevoir la vérité qui se cache derrière les étranges rencontres qu’elle fait : une cruelle sirène, une louve sans défense, ou encore la mystérieuse Eva, qui ressemble à s’y méprendre à la femme d’un tableau de 1898 qui fascine Imp depuis ses 11 ans. Mais cette femme existe-t-elle vraiment ? Qui sait ce que la schizophrénie de Imp lui fait voir ?
Tour à tour journal intime, récit autobiographique et histoire de fantômes, La Fille qui se noie est un roman unique qui se perd entre réalité, imaginaire et folie. Un voyage dans la psyché humaine et la démence qui ne laissera personne indemne.

Mon avis :

Il est des romans qui nous happent dès la couverture et avec lesquels on sait qu’on va vivre une singulière expérience. C’est le cas de La fille qui se noie avec lequel Caitlin R. Kiernan m’a fait un moment des plus étranges et terriblement remuant en suivant son héroïne atteinte de folie dans les méandres de ses pensées.

Récompensé et/ou nominé par de nombreux prix, ce roman offre une singulière revisite du roman gothique et du roman fantastique américain. A la croisée des chemins, rempli de références, il ne peut laisser le lecteur indifférent par ses singularités de fond et de forme. Parfait pour la saison, il m’a emportée dans les tortueuses et trompeuses pages d’une Caitlin R. Kiernan « poétesse et voix des âmes perdues et des égarés«  comme le dit si joliment Neil Gaiman.

Ce fut cependant une lecture des plus étranges. Plonger dans les pensées agitées d’India Morgan Phelps, dite Imp, n’a rien eu d’aisé. Comme elle, la plume de l’autrice se veut agitée, virevoltante, sautillante, allant dans tous les sens, tantôt claire, tantôt brumeuse, tantôt pleine d’allant, tantôt pleine de résistances. Ce fut une vraie expérience et j’ai trouvé très fort que l’autrice parvienne ainsi à rendre la folie et les angoisses de son héroïne. Comme je le disais sur Instagram, je me suis moi aussi noyée dans les mots sur les maux d’Imp et ce fut aussi merveilleux que douloureux.

Imp est un personnage des plus attachants. J’ai pu lire par endroit que ce récit était peut-être en partie autobiographique, cela expliquerait pourquoi on se sent si proche de l’héroïne dont les tourments intérieurs sont si bien narrés. Il est fascinant d’entrer ainsi dans sa tête et de vivre à ses côtés ces jours entre fantasme et réalité, tandis qu’elle semble chercher une personne, ou un fantôme ?, une sirène ?, un loup ?, croisé lors d’une de ses errances. Imp a pourtant une vie sociale on ne peut plus normale au quotidien : un boulot, une petite amie, mais sa maladie est toujours là en toile de fond, et bien qu’elle l’assume, parfois elle l’emporte et elle l’emporte très loin. C’est ce que nous allons vivre avec elle.

La narration est souvent courte, brève, agitée, mais pleine de poésie grâce aux nombreuses références littéraires de l’autrice qui se plaît à imaginer une héroïne obsédée par les mots, en plus de ses maux, une héroïne pour qui l’art : l’écriture et la peinture sont des portes pour laisser son âme tourmentée parler. C’est ainsi très saisissant de suivre ce mélange de vie quotidien et de moments où son esprit s’échappe et s’évade, l’emmenant loin dans ses obsessions et enquêtes métaphysiques à la recherche de créatures issues des contes et lectures de son enfance mais aussi d’un tableau méconnu qu’elle a croisé et ne peut oublier : La fille qui se noie. Le lecteur se retrouve ainsi à ses côtés, à suivre ce flot de mots et d’informations parfois contradictoires et souvent très emmêlés, avec la tentation d’en démêler le fil, mais l’impossibilité d’y parvenir, ce qui le conduit à se laisser voguer sur les flots avec angoisse.

J’ai beaucoup aimé cette expérience même si j’ai dû accepter au fil des pages de ne pas tout comprendre et de me laisser porter par cette héroïne et ses multiples mondes. Mon attachement envers elle a sûrement dû beaucoup jouer dans cette acceptation, de même que la beauté que j’ai trouvée dans les mots de l’autrice, sans parler du côté LGBTQ+ de l’histoire, l’héroïne étant en couple avec Abalyn, une personne transgenre, que j’ai trouvé magnifique dans sa façon de gérer son couple avec une personne souffrant de troubles mentaux. Caitlin R. Kiernan nous offre une romance des plus poignantes et émouvantes avec ces deux femmes tourmentées, l’une par son âme, l’autre autrefois par son corps de naissance, et j’ai trouvé très beau et très juste la façon dont elle leur donne une tribune ici. Les mots d’Abalyn pour évoquer son expérience étaient simples et justes. Les scènes où Imp craque et expérimente un « épisode » étaient bouleversantes et crédibles. Quelle plume, quelle plume !

C’est assez dur de résumer l’expérience vécue au cours de cette lecture mais j’ai été totalement emportée par les maux de l’héroïne, son flot de mots à travers la plume si belle et douloureuse de l’autrice, ses nombreuses références littéraires chères à mon coeur et son univers fantastico-gothique moderne plongeant dans nos angoisses à tous. Venant de finir la saga Blackwater, j’ai senti une filiation dans cette écriture très féminine du fantastique gothique contemporain avec des femmes luttant contre leurs maux pour leur liberté. C’était émouvant, poignant, puissant et terriblement bien écrit.

(Merci à Albin Michel Imaginaire pour cette singulière expérience.)

-> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Blackwolf, Just a Word, Vous ?

 

21 commentaires sur “La Fille qui se noie de Caitlín R. Kiernan

  1. Maladie mentale, roman gothique et plume poétique et percutante, me voila conquis ! Je ne sais quand, mais pour sûr il me faut ce roman que je me note dès maintenant grâce à ton avis.

    Merci à toi 🙂

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    1. Un joli compliment !
      C’est effectivement un titre qui sort complètement des sentiers battus, en tout cas pour moi qui n’avais jamais lu ce type de récit. A la limite, cela avait un petit quelque chose de Molly Southborne à ses débuts. 😉
      Contente de te tenter

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    1. Pardon pour la réponse tardive. WordPress me joue des tours en ce moment et t’avait mis en spam…
      C’est effectivement un texte puissant qui laisse des traces, je comprends qu’il t’ait hanté plusieurs jours.
      Et merci beaucoup pour ton compliment, il me fait chaud au coeur, tant j’ai cherché comment en parler de la manière la plus juste 🙂

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