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Innocent Rouge de Shin’Ichi Sakamoto

Titre : Innocent Rouge

Auteur : Shin’Ichi Sakamoto

Éditeur vf : Delcourt/Tonkam (seinen)

Années de parution vf : 2017-2021

Nombre de tomes vf : 12 (série terminée)

Résumé du tome 1 : A l’aube de la Révolution, Charles-Henri Sanson, maître des hautes œuvres de Paris, règne sur la famille des exécuteurs de France. Sa jeune sœur Marie-Josèphe, en charge de l’office de Versailles, devient incontrôlable à la mort d’Alain, son premier amour. Elle se jure de le venger en éliminant son assassin et ne recule devant rien pour renverser le système injuste qui lui a coûté la vie.

Suite directe d’Innocent (avis disponibles ici).

Mes avis :

Tome 1

Après avoir lu et adoré Innocent, voici sa suite directe : Innocent Rouge. L’histoire enchaîne vraiment avec celle que l’on avait laissé et on suit donc d’abord les conséquences de la mort d’Alain, le premier amour de Marie-Josèphe. Ça nous permet de voir encore mieux la ligne de fraction qui sépare le frère et la soeur : l’un ayant perdu tout espoir et suivant aveuglément les ordres du roi, tandis que l’autre cherche encore à révolutionner le monde. Ce désir de révolution que l’on sentait chez les deux et qui n’existe plus que chez Marie-Josèphe est au coeur de ce premier tome.

Nous sommes en 1774 et l’on sent déjà poindre de plus en plus la colère du peuple et des bourgeois contre le roi et la noblesse. L’auteur certes caricature énormément ces derniers et leurs exactions envers le peuple mais au moins cela donne un récit fort. Les émotions sont exacerbées chez tout le monde. Le trait de l’auteur rend d’ailleurs bien justice à cela en donnant en plus un côté très grandiloquent comme il sait bien le faire. Les personnages sont clivant, on aime ou on déteste les changements qui se sont opérés chez Charles-Henri et qu’il fait subir à son jeune fils. La relève qu’il incarne est tragique. Il ressemble à son père petit mais se laisse encore plus facilement convaincre, et j’ai bien peur que dans le prochain tome qui va revenir sur le premier de Sanson, nous ayant le même revirement. Marie-Josèphe reste fidèle à elle-même et je l’adore. Elle est fidèle à ses convictions, elle continue à lutter pour imposer ses idées et est toujours aussi forte et astucieuse. Son désir de justice est tellement fort qu’il est vraiment prégnant pour le lecteur. Du coup, j’ai trouvé judicieux que Shin’Ichi Sakamoto se servent d’une histoire aussi connue que l’Affaire du collier pour mêler Marie aux troubles de la royauté même si ça risque de lui exploser en plein visage.

Shin’Ichi Sakamoto continue sur sa lancée pour nous brosser un tableau fort et enfiévré des années précédant la Révolution et des personnages importants qui vont la peupler, à l’image du jeune Robespierre que l’on croise. Je suis toujours aussi convaincu par son trait, sa narration et son ambiance. Il me tarde de continuer à découvrir les aventures de cette famille.

Tome 2

Dans ce tome un peu annexe, Shin’ichi Sakamoto continue à montrer tout son talent. En effet, nous apprenons enfin l’origine de la lignée de Sanson à travers la lecture du journal du premier d’entre eux par Charles-Henri. C’est l’occasion de découvrir que pour lui aussi, cette vie n’est pas un choix mais un piège comme c’est le cas pour chaque membre de sa famille après lui. Chacun fait ensuite le choix de l’assumer comme il peut, en s’y opposant ou en s’y réalisant.

Du coup, même si c’est intéressant de découvrir leur passé, leur histoire présente n’avance pas. Il y a juste Marie-Josèphe qui gagne la dernière pierre de son indépendance. La romance de Charles-Henri et son femme, Anne, qu’on nous brosse en parallèle a un petit quelque chose de ridicule quand même. J’attends plutôt la suite de la grande histoire qui se tissait autour des Sanson et qui devrait reprendre dans le prochain tome.

Tome 3

Encore un tome qui se lit bien vite. Si Shin’ichi Sakamoto continue à montrer toute sa maestria graphique, l’histoire peine à m’intéresser, elle. Il reprend un peu toujours la même formule dans ce spin-off et cela en devient lassant. Je n’aime pas du tout la peinture qui est faite de la famille royale et encore moins de l’histoire de France d’alors. C’est encore une fois bourré de clichés, le tout pour grossir le trait et rendre cela bien trop vulgaire à mon goût. On a l’impression de se retrouver dans une farce par moment et parfois cela me rappelle aussi le film (assez mauvais) de Sofia Coppola sur Marie Antoinette tant tout est excessif.

Au milieu de tout ça, heureusement, on a droit à une belle leçon de Marie-Josèphe sur la vraie valeur des gens qui nous entourent. C’est à peu près tout ce qu’il y a à sauver de ce tome avec la mise en page magnifique du faste de la cour en opposition avec la saleté bien crasse du peuple. L’opposition entre les deux est vraiment violente et Jeanne de Valois en est la réunion parfaite. C’est un nouveau personnage encore plus excessif et vulgaire que les autres qui promet de belles envolées lyriques et de jolis coups fourrés.

Après je ne suis vraiment pas fan du ton de cette suite, je préférais largement la première série, plus sérieuse et avec un vrai message.

Tome 4

Entre expérimentations graphiques et montée en puissance, ce tome est vraiment très bon et me réconcilie un peu avec la série.

On commence par un chapitre d’ouverture très puissant mettant en parallèle le frère et la soeur lors d’une exécution. C’est terriblement bien fait de montrer ainsi comment avec des idéaux opposés ils vont se diriger vers la même solution, à savoir la guillotine.

La suite du tome permet un balayage rapide des années qui suivent où se fomentent des complots contre la tête du royaume. On voit d’abord se mettre en place la triste idée de Jeanne de la Motte pour faire payer sa soi-disant arrogance à la Reine. J’ai beaucoup aimé la brusque introduction graphique des réseaux sociaux de notre époque pour tenter de montrer le caractère léger de la Reine (même si je ne suis pas forcément d’accord avec cette analyse). C’est surprenant et original. Puis, plus intéressant, nous voyons un groupuscule d’hommes du peuple jouer les bandits pour tenter de se débarrasser du roi, avec parmi eux le fils de Damien qui vient à croiser la route de la redoutable Marie-Josèphe. Cet homme parvient à faire ressortir toute la folie de la soeur Sanson, mais aussi à la toucher sous sa carapace et je suis curieuse de voir ce que ça va pouvoir donner.

En attendant, ce tome aura été très original dans la forme et nerveux dans le fond, j’ai passé un très bon moment même si trop court comme toujours.

Tome 5

Shin’ichi Sakamoto fait encore dans la grandiloquence dans ce nouveau tome d’Innocent qui se découvre d’abord avec une couverture sombre et gothique de toute beauté qui en fera frissonner plus d’un et qui donne de suite le ton.

On se rapproche de plus en plus de la Révolution et les oppositions politiques entre le frère et la soeur Sanson sont de plus en plus flagrantes comme l’atteste les chapitres d’ouverture. Entre une Marie-Josèphe qui a soif de changement, de pagaille et de sang, et un Charles-Henri qui n’aspire qu’à la paix et au maintien de l’ordre actuel, dur de voir ce qui va pouvoir les réconcilier. A travers eux, ce sont deux discours qui s’opposent, de ceux qu’on peut entendre à la veille de la Révolution et qui sont aussi incarnés ici par le roi Louis XVI et le charismatique fils de Damien. Cela donne des scènes dramatiques poussées à leur paroxysme par le talent graphique et métaphorique du mangaka qui se déchaîne dans les différentes allégories de la mort qu’il met en scène. Graphiquement, c’est saisissant. Scénaristiquement, c’est puissant. Historiquement, c’est de moins en moins juste et cela manque vraiment de nuances ^^!

Cependant, c’est au détour d’un événement imprévu de l’Histoire que le frère et la soeur vont se rapprocher à la fin de ce tome avec que l’auteur accélère encore le tempo pour nous presser aux portes de la Révolution afin de tester les idéaux et les ambitions de chacun. Charles-Henri va devoir faire des concessions et Marie-Josèphe apprendre à se juguler. Il me tarde de voir ce que cette alliance de circonstance va donner.

Tome 6

Shin’ichi Sakamoto nous offre encore un grand tome. Comme l’annonce la couverture, on va se poser pour parler du métier et du devenir des Sanson.

C’est toujours un claque visuelle, faite d’effets de style époustouflants, avec des métaphores toujours aussi bien trouvées et qui nous explosent au visage. Ses propos nous explosent littéralement au visage avec son trait toujours aussi grandiloquent et mélodramatique. J’en suis vraiment fan et je n’en reviens pas de l’évolution de ce dessinateur.

Du côté de l’histoire, les Sanson sont plus proches que jamais alors qu’ils ont pourtant des aspirations très éloignées. J’ai été contente de revoir Marie-Josèphe au centre de la scène et Charles-Henri un peu en retrait. La Révolution approche, les mécontentements sont légions et d’origines très diverses. Le mangaka a le talent de mêler des causes générales à des causes plus particulières et intimes, ce qui est exactement ce qui aura causé ce mouvement et pas juste les grands idéaux des Lumières. Je n’avais pas du tout entendu parler du rôle des différents incidents climatiques qu’on aborde ici et j’ai aimé apprendre cela (même si je vais aller m’assurer de la véracité de ces faits ^^).

Du point de vue des Sanson, on suit leur lente déchéance. Leur position n’est plus du tout assurée du côté du peuple qui ne voit plus que des oppresseurs en eux, tout comme la monarchie. J’ai aimé voir ce changement progressif de perception. Si Charles-Henri y semble un peu aveugle, Marie l’a bien vu venir et semble préparer son avenir de la façon la plus surprenante.

En tout cas, la colère gronde, le changement s’annonce violent et il est pour bientôt !

Tome 7

Quelle maîtrise pour nous faire dérouler ainsi l’Histoire de notre pays sous nos yeux ! On se croirait en plein film dramatique où le suspens est haletant. Shin’ichi Sakamoto revisite un épisode clé de notre Histoire avec un talent certain. On voit sous nos yeux ébahis le destin de notre pays basculer. Certes, c’est plein d’envolées lyriques, c’est grandiloquent et les personnages clés sont représentés à grands coups de clichés, mais quel souffle !

Le tome s’ouvre sur le premier acte insurrectionnel fort du peuple lors de l’exécution dont Marie à la charge. C’est aussi un moment historique qu’on vit au plus près. On sent vraiment la force qui est en train de naître dans ce peuple en colère et qui fait tellement échos aux événements actuels. Marie a l’intelligence de le percevoir et d’y voir un outil pour servir ses intérêts et ses aspirations de voir disparaître la noblesse qui lui a fait tant de mal. Elle se saisit donc de ce moment pour en faire un vrai symbole fort et marquant et y réussit à merveille !

La rupture est définitivement consommée entre elle et sa famille. C’est terrible de voir à quel point Charles et elles se sont éloignés, mais ils sont tellement différents que c’était inéluctable. Il reste que Marie est une figure emblématique, terriblement forte et accrochée à son désir de liberté. Elle ressemble de plus en plus à Lady Oscar dans la façon dont l’auteur la représente et la met en scène. C’est vraiment frappant ! A titre personnel, j’aime ce dépouillement qu’on voit chez elle. Elle se débarrasse du poids de son nom, de sa fonction, en même temps que de son lourd manteau, pour revêtir une tenue bien plus moderne et qui la laisse libre. Au passage, je suis très intriguée par ses principes d’éducation envers son enfant. J’aime le mystère dont elle l’entoure et il me tarde de voir ce que ça va donner.

En attendant, avec elle, on plonge au coeur de la Révolution qui ça y est a éclaté dans ce tome. On suit rapidement et de loin par moment les épisodes clés de sa naissance : appel et ouverture des États-Généraux, sécession du Tiers-État, proclamation de l’Assemblée nationale, prise de la Bastille, exécution du Roi. J’espère tout de même qu’on reviendra dessus parce qu’ici ce fut balayé bien vite. De même, j’espère que les personnages emblématiques que sont Bonaparte, Robespierre, Marat, Bailly, Saint-Just… referont des apparitions plus marquantes même si je crains fortement que l’auteur en fasse des clichés ambulants…

Cependant, ce tome est encore une fois de haute volée. Je n’ai pas vu le temps passer tant j’étais aspirée par le violent tourbillon de cette révolte populaire. J’espère que la suite sera tout aussi épique !

Tome 8

Dans ce nouveau tome de la saga des Sanson, le titre de la série prend vraiment tout son sens ! L’auteur s’amuse à nous balader d’un moment tragique à un autre de cette Révolution où les figures connues subissent plus de malheurs qu’il n’en est humainement possible en une vie, les poussant ainsi inéluctablement vers la folie. C’est dramatique de voir ça et en même tellement jubilatoire, notamment grâce à la mise en scène impeccable du mangaka.

Je suis vraiment passée par toutes les émotions en lisant ce nouveau tome. On commence avec un élément clé de la Révolution, la conception et l’utilisation de la guillotine. C’est un moment terrible mais magique, je trouve. En plus, Shin’ichi Sakamoto nous offre les pensées des premiers utilisateurs de cette machine de mort et on découvre qu’elles sont bien plus complexes et ambigües qu’on n’aurait pu le croire. La mise en route est ensuite glaçante et on découvre comment un peuple peu pervertir une idée. Les réflexions sur la peine de mort et ceux qui la délivrent sont très puissantes et remuent quelque chose en nous. On ne peut rester indifférent face au sort de cette famille de bourreaux qui voudrait être enfin délivrée de sa charge mais n’y parvient pas.

En parallèle, l’Histoire s’écrit de plus en plus. On découvre en filigrane des figures historiques (Robespierre, Danton, Louis XVI…) qui placent des discours importants, mais également des moments clés de la périodes révolutionnaires sont évoqués afin de nous situer et de comprendre l’évolution terrible qui a lieu sous nos yeux. C’est glaçant.

Et au milieu de tout ça, je me suis plu à découvrir de plus en plus la figure de Zéro, digne héritier/héritière de sa mère qui propose un discours très intéressant sur « le genre » et les rôles qu’on leur attribue, tout comme l’avait fait sa génitrice. Je suis fan de ce duo et le fait qu’elle intervienne dans l’histoire tel un ange ou un démon sur l’épaule des grandes figures qui écrivent l’Histoire me fait jubiler.

Ce tome fut donc une lecture intense mais excellente tant la maitrise de l’auteur, dans ce qu’il souhaite nous raconter et la façon dont il s’y prend, est grande. C’est du grand art !

Tome 9

Quelle tristesse dans ce tome ! Il s’ouvre d’abord sur une couverture juste sublime avec cette mise en scène entre le Roi, Charles-Henri, la Révolution et la République. J’aime tout dans cette composition qui regorge de détails symboliques, des cheveux de notre bourreau jusqu’aux fleurs et ruines en arrière-plan.

Nous entrons clairement dans une autre ère avec cet opus où l’on voit la monarchie s’éteindre. C’est déchirant de voir Paris tomber dans la folie la plus absurde et meurtrière. C’est terrible de suivre aussi la déchéance de Charles-Henri dont l’esprit l’a abandonné à la suite de la mort d’un de ses fils. C’était triste de voir son fils restant et sa femme devoir vivre avec ce pauvre homme qui leur fait tant de mal. Les débuts de ce tome font vraiment mal. Ajoutez à ça, l’annonce de la mort prochaine du Roi et l’organisation de celle-ci, horrible. On souffre donc un bon bout de temps malgré les belles prouesses graphiques de l’auteur qui tente de sublimer, à sa façon ces moments.

Cependant tout n’est pas que sang et ténèbres, au milieu de toute cette horreur transperce un rayon de lumière, celui de la réconciliation de la famille Sanson avec le retour de Marie-Josèphe et surtout l’intégration de Zéro au cercle familiale, cette petite sera la rédemption de tous, je pense.

Historiquement, l’auteur exploite les grandes lignes de l’Histoire, il en tort certains contours, en arrange d’autre pour monter la tension dramatique et servir ses intérêts de narrateur. Je ne suis pas d’accord avec sa vision du Roi, ni avec celle de Robespierre ou de Saint-Just. Mais ça a le mérite de rendre son récit très expressif et puissant. La scène de la mise à mort du Roi est d’une symbolique et d’une force rare, à faire verser des larmes et à tordre le ventre. C’est sensationnel.

Les prouesses graphiques sont d’ailleurs nombreuses dans ce tome tout comme les métaphores. Je retiendrai la symbolique de l’encre noire utilisée par Charles-Henri pour écrire ses manifestes contre la peine de mort pour montrer qu’il tombe dans la folie. Je retiendrai également les visions que le Roi a de son fils mais surtout ses derniers moments déchirants avec Charles-Henri, et quand ce dernier réalise dans quel monde il est tombé juste après la disparition du roi. Terrifiant. J’ai plus de mal avec l’introduction du bondage même si j’en comprends le rôle, mais ça me semble tellement anachronique et or propos que ce n’est pas passé…

Bref, encore un tome de haute volée de la part de Shin’ichi Sakamoto qui raconte comme personne l’histoire de cette pauvre famille Sanson et de ce sombre tournant de notre Histoire.

Tome 10

Je ne sais pas si c’est à force de l’attendre que j’avais placé trop d’espoir dans ce tome ou si c’est parce que je me réveille enfin, mais j’ai été un brin déçue. J’ai trouvé la narration assez foullie et le propos peu clair au final sur l’ensemble de la série, comme si le chaos de la Révolution avait pris le pas sur le reste. Je n’ai pas retrouvé la force de la première série même si cela reste bouleversant à lire sublimé par les dessins de Sakamoto.

A deux tomes de la fin, l’auteur nous embarque d’abord dans la course folle pour préserver le corps du roi défunt de la folie du peuple. Il met celle-ci en scène avec toute la poésie qu’on lui connait, transformant celui-ci en un terrible Golem. Il démontre ainsi à quel point la folie s’est emparée de lui et l’a transformé, expliquant comment on a pu en arriver à cette terrible période qu’on appellera La Terreur. Cette partie est très réussie. Tout autant que celle qui suit où l’on voit un Charles-Henri cherchant l’absolution après ce qu’il a fait. Cet homme qui s’est complètement perdu au cours de sa vie me chamboule toujours autant.

Mais c’est plus sa soeur qui depuis un certain temps déjà me fascine et le virage assez féminin pris par la série n’y est pas pour rien. Dans ce tome, l’auteur m’a d’ailleurs surpris par un discours assez féministe parfois, lui, qui pourtant avait proposé une image assez dégradée des femmes dans Ascension, les réduisant à l’objet du désir des hommes. Il leur fait prendre leur revanche ici, mettant en scène de superbes personnages comme Marie-Josèphe, Théroigne de Méricourt et surtout Charlotte Corday, héroïne d’une partie de ce tome. En restant fidèle aux grandes lignes de son histoire, le mangaka met parfaitement en scène le meurtre qu’elle va commettre et en explique assez bien les raisons, même s’il manque deux-trois éléments à mon goût. J’ai donc vécu un grand moment à revivre ce moment clé de notre histoire.

C’est par la suite que ça se gâte. Alors tout nous amener à cette Terreur qu’il me tardait de vraiment voir mise en scène et dénoncé, voilà que l’auteur repart en arrière pour nous parler de la Fuite à Varennes. Je n’en ai pas du tout vu l’utilité à ce point de l’histoire. C’est juste comme s’il avait voulu réparé un oubli mais pour moi ça ne se justifie pas du tout, on s’en était très bien passé jusqu’à présent. J’en viens ainsi à me demander ce qu’il veut vraiment nous raconter, si c’est l’histoire de la Révolution ou celle de la famille Sanson, les deux ne sont pas incompatibles mais à vouloir raconter les deux en parallèle, ça fait trop et c’est confus. Ici, ce retour en arrière n’apporte rien.

Je suis donc plus partagée sur ce tome que je ne l’ai été sur les autres qui avaient emporté mon adhésion totale. J’ai beaucoup aimé toute la première partie qui nous amenait petit à petit vers cette époque charnière et fondatrice qu’est la Terreur. Mais je n’ai pas compris et j’ai été déçue par ce retour en arrière à la fin. J’ai peur que l’auteur s’éloigne et qu’ensuite il soit trop tard pour revenir à ce qu’il m’intéresse, surtout vu le peu de tome qu’il reste avant la conclusion de la série… (2 tomes)

Tome 11

J’ai beau adorer le travail graphique de l’auteur, son audace et sa folie, à un tome de la fin, je me demande quand même ce qu’il fait tant il part loin dans ses délires parfois…

Alors que je m’attendais à une sorte de témoignage sur la façon dont la famille Sanson aurait traversé la Révolution, je me retrouve plutôt avec l’histoire commune de deux grande femmes : Marie-Josèphe d’un côté et Marie-Antoinette de l’autre, deux femmes aux visions diamétralement opposée de la vie et de la société, qui s’affrontent ici.

La première partie, que je trouvais complètement mal à propos la dernière fois, illustre très bien ce propos. La fuite à Varennes ou cette grossière erreur qui a tout fait perdre au Roi et à la Reine, perdant le peu de confiance que le peuple leur conservait encore, a précipité leur chute. La course-poursuite de folie entre Marie et Fersen était bien percutante et a parfaitement saisi cette différence de point de vue et cette réconciliation impossible.

La suite ouvre, telle une pièce de théâtre, le dernier acte de l’histoire. La mise en scène de l’auteur est encore une fois marquante car il allie vérité historique, ajout romanesque et anachronismes en pagaille comme il aime le faire pour souligner avec encore plus de force ce qu’il se passe.

J’ai été frappée, comme à chaque fois, par la fin de vie de cette femme. Le calvaire de Marie-Antoinette est assez terrible après la vie protégée qu’elle a connu et c’est parfaitement montré ici sous les monceaux d’effets de manches du mangaka. Sa vie misérable à la Conciergerie, sa séparation de ses enfants, la perte de son époux, tout est là. On voit quand même quelle grande dame elle reste. Je regrette juste ce regard qui veut absolument en faire une manipulatrice, je trouve que ça lui correspond si peu par rapport à ce que j’ai lu sur elle…

En tout cas, ce dernier croisement des destinées entre elle et Marie-Josèphe frappe fort. On se demande exactement où l’auteur veut aller. J’ai bien une petite idée mais quelque chose me chiffonne dedans niveau logique. On verra bien. Je vais une fois de plus me laisser emporter par sa superbe dramatisation visuelle, je le sais.

On aime ou aime pas le style très entier et rococo de Sakamoto. Pour ma part, il me gêne parfois aux entournures avec les libertés qu’il prend avec l’Histoire et le caractère des personnages. Mais on ne peut lui enlever qu’il est ultra accrocheur, qu’il permet de raconter cette terrible histoire avec panache et qu’il rend celle-ci passionnante et fascinante. Le destin de ses deux femmes n’aura jamais été si proche de la fin !

Tome 12 – Fin

Innocent et Innocent Rouge furent deux séries un peu hors norme et dont la longueur s’est étalée sur plusieurs longues années pour l’auteur. Il n’était peut-être donc pas facile pour lui de trouver comment conclure sans trahir son oeuvre et il s’en est globalement fort bien tiré, conservant toute la puissance métaphorique qu’il y avait insufflée.

Quand on découvre ce 12e tome, la première chose qui frappe, c’est sa couverture rouge sang, comme les sombres heures de la Révolution qui vont être au coeur de cet ultime page du récit. Pourtant, l’auteur ouvre sur un ton qui se veut faussement léger. S’étant pris au jeu de la métaphore temporelle et du déplacement du récit dans notre monde, il montre au potentiel lecteur lycéen japonais le parallèle (discutable, certes) qu’il y aurait à faire entre la situation de Marie Antoinette en 1793 et une lycéenne populaire qui perd tout. C’est audacieux, inattendu, perturbant mais la puissance de ce qu’il veut raconter et transmettre est bien là. Surtout, heureusement, il n’abuse pas du procédé et repasse rapidement à une histoire plus traditionnelle dans l’ensemble. Mais le malaise est là.

Le malaise, c’est le maître mot de ce tome. Shin’Ichi Sakamoto démontre bien la violence et l’arbitraire du régime de la Terreur à travers ce dernier épisode de la famille Sanson. La mise à mort de Marie Antoinette est presque une parenthèse où le temps se retrouve suspendu et où on admire la courage de cette femme, bravache et fière jusqu’au bout. Je sais que c’est un personnage controversé mais personnellement je l’ai toujours appréciée et elle n’a été qu’une victime de plus ici, instrument d’une famille et d’un pouvoir qui la dépassait, mais au final seulement femme et mère, ce que l’auteur rend très bien. Mais la violence est quand même là.

Cette exécution devient en effet le déclencheur de toute la suite car les hommes au gouvernement n’attendait qu’un prétexte pour s’en prendre à notre fière Marie Josèphe et le parallèle entre le martyre des deux femmes est évident. Le mangaka notre brosse alors un portrait rude mais réaliste de la mauvaise tournure prise par la Révolution, une fois Robespierre et ses amis au pouvoir. Avec beaucoup de théâtralité, il faut le reconnaître, il décrit l’arbitraire lâche et violent dont ils font preuve pour se préserver mais aussi leur peur des femmes et du pouvoir qu’elles pourraient gagner qu’ils entreprennent donc de saquer. Marie Josèphe est l’exutoire parfait et pour nous lecteurs, elle sera notre icône, mais dans la réalité ce sont des femmes comme Olympes de Gouge, dont l’auteur parle, qui font en souffrir. On se retrouve ainsi, derrière les multiples couches d’artifices de l’auteur, avec quand même une histoire fidèle et puissante porteuse d’un vrai message.

Message que l’on retrouve imminemment dans la relation Charles-Henry / Marie-Josèphe qui nous accompagne depuis le début. Elle, la rebelle, lui, l’idéaliste, ne pouvaient que faire des étincelles ensemble et ce sera le cas jusqu’au dernier moment. On est frappé par la violence qui rythme jusqu’au bout la vie de Marie. Les dernières atrocités qu’elle vit ont été insoutenables pour moi, l’auteur est allé trop loin à mon goût. Mais cette violence se retrouve aussi dans la vie de Charles-Henry, peut-être encore plus subie s’il n’en faut, car lui était une âme encore plus sensible, même si je n’aime pas établir d’échelle. Ainsi leurs échanges silencieux tout au long de leur vie sur leur désir de paix et de liberté prennent toute leur mesure ici, avec une très belle mise en scène de la violence subie par l’un et de la fatigue écrasante ressentie par l’autre. Le pont se fera par l’incroyable Zéro, cette enfant si longtemps cachée et observatrice, qui revêt un rôle essentiel pour les aider à tenir l’un l’autre. Elle m’a fascinée.

Ainsi la puissance des idées de Shin’Ichi Sakamoto n’a jamais failli malgré sa mise en scène totalement rococo, parfois un peu grotesque et souvent terriblement percutante. On ressort de cette lecture lessivé, épuisé, plein de doutes et d’envie de liberté mais aussi de lutte contre l’oppression. Il a réussi à porter son discours pacifiste et féministe jusqu’au bout avec une superbe conclusion douce-amère, le tout sans trahir la grande Histoire malgré ses effets de style. Innocent et Innocent Rouge resteront donc de très grandes lectures à conseiller vivement à qui s’intéresse à la place de la femme mais aussi à la peine de mort, mais également à qui aime les expériences graphiques impactantes, les récits bien bâtis et les personnages charismatiques mais déchirants. C’est une oeuvre essentielle.

5 commentaires sur “Innocent Rouge de Shin’Ichi Sakamoto

  1. Cela fait plaisir de lire de tels avis. Content que le tome 4 ait pu te réconcilier avec Innocent Rouge, il aurait été dommage que tu t’arrêtes en cours de route ! C’est vraiment une série qui propose un graphisme, des symboles… d’une grande lisibilité. Ce doit être la première fois où j’ai l’impression d’à peu près comprendre ce que l’auteur veut dire à travers les postures des personnages, les mises en scène… S. Sakamoto est dans son élément, comme un poisson dans l’eau même si c’est une eau trouble et qui a la couleur du sang…

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    1. Effectivement, il se passe quelque chose dans son dessin. C’est bien pour ça que même si je ne suis pas d’accord avec tous ses choix scénaristiques, je continue à le lire.
      Quant à ce que tu dis sur sa grande lisibilité, c’est exactement le but de ses recherches graphiques d’après ce qu’il en dit dans le dernier numéro d’ATOM et on peut dire qu’il y réussit très bien !

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  2. J’avais ete sidere par la puissance d’Innocent et avait juste entamé Rouge… en me disant que je reprendrais une fois les 12 parus. Ca va etre un de mes objectifs de 2022 côté manga je pense. Et hate de voir sur quoi il va repartir tant son oeuvre est impressionnante d’ambition et injustement méconnu.

    Aimé par 1 personne

    1. C’était un très bon choix car je ne te mentirai pas la parution m’a bien frustrée sur Innocent Rouge.
      Après je lui fais confiance pour une prochaine série car déjà sa précédente Ascension m’avait fortement marquée. Je ne sais pas si tu l’as l’UE

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