Livres - BD / Illustrations

Les Indésirables de Kiku Hughes

Titre : Les Indésirables

Auteur : Kiku Hughes

Editeur : Rue de Sèvres

Date de parution : 6 janvier 2021

Nombre de pages : 288

Histoire : Kiku a 16 ans. Americano-japonaise, elle se sent déconnectée de son héritage japonais et en sait peu sur l’histoire de sa famille qui cultive le secret. Alors qu’elle est en vacances avec sa mère à San Francisco, elle se retrouve brusquement dans les années 1940, propulsée dans un des camps qui a fleuri sur le territoire américain au lendemain de Pearl Harbor. Parquée, Kiku partage le quotidien de sa jeune grand-mère et de 120 000 citoyens nippo-américains déchus de tous leurs droits civiques par leur propre gouvernement, car accusés d’être des ennemis de la nation…

Mon avis :

J’aime depuis toujours l’Histoire avec un grand H. Ce fut d’ailleurs dans cette branche que je fis mes études après le lycée pendant plus de 6 années et je garde encore aujourd’hui un vif pour tout ce qui y a trait. Ainsi quand je vois un titre qui parle d’un pan de celle-ci que je connais peu, même si c’est de la fiction, je ne peux m’empêcher d’aller y jeter un oeil.

Les Indésirables de Kiku Hughes propose un récit fantastique sur fond d’histoire vraie qui parle des camps d’internement américains pour les japonais pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est un sujet dont j’avais déjà entendu parler dans plusieurs oeuvres de fiction, en général cinématographiques ou audiovisuelles : La neige tombait sur les cèdres de Scott Hicks, la saison 2 de la série The Terror ou encore un épisode de la série Sept à la maison où une femme dont les parents sont envoyés dans un camp. Mais malgré cela, je n’en connaissais que les très très grandes lignes.

Grâce à Kiku Hughes, qui relate en fait ici une histoire de famille, celle de sa grand-mère et de ses arrières-grands-parents, j’ai pu découvrir ce terrible fait historique de l’intérieur et c’était glaçant !

J’ai particulièrement apprécié que l’autrice nous explique son projet, son cheminement, ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas, d’où elle tient ses informations, etc. L’éditeur propose d’ailleurs un vrai accompagnement critique qu’il est bon de saluer, car s’il est succin, il propose des lecteurs de qualité pour assouvir notre curiosité. Et c’était nécessaire dans un récit qui mêle allègrement souvenirs plus ou moins rapportés et fiction la plus totale.

En effet, Kiku Hughes a fait le choix original, s’il en est, d’inscrire son récit dans la plus pure tradition fantastique en faisant basculer à plusieurs reprises son héroïne du présent au passé qu’a vécu sa grand-mère. C’est un procédé éculé mais qui fonctionne bien ici, car il est l’occasion de dénoncer le passé à l’aune du présent, et avec ce que nous venons de vivre aux Etats-Unis, c’est plus que salvateur ! L’autrice est quelqu’un d’engagé et elle ne s’en cache pas, la preuve, l’élément déclencheur de toute cette histoire est la politique migratoire de Donald Trump.

Par la suite, la narration se veut par contre plus classique et c’est ce qui m’a empêchée d’avoir un coup de coeur pour cette histoire malgré un sujet qui retournait bien l’estomac. Une fois l’héroïne ayant basculé dans le passé, nous suivons pas à pas son quotidien dans son premier camp d’accueil puis dans le second définitif. On y voit les rencontres qu’elle fait, ceux avec qui elle noue des liens, comment elle fait pour survivre, l’ambiance complètement hallucinante dans laquelle elle nage, tant cela semble déconnecté de toute réalité et presque banalisé, tel un quotidien normal, ce que ce n’est pas pourtant.

Mais en même temps, j’ai trouvé le récit un peu froid. Je ne me suis pas vraiment attachée à cette héroïne dont je savais pertinemment qu’elle retournerait dans le présent, c’est le propre de ce genre de titres. Et parmi ceux qu’elle a croisé très peu ont vraiment retenu mon attention, à part Aiko, une vraie militante, battante, qui est une figure à retenir ! Ainsi, même si elle se trouve une chouette bande de camarades, c’est resté assez lointain pour moi, sans qu’une affection réelle se crée.

Ma grosse déception fut le manque de connexion de l’héroïne avec sa vraie famille qui est pourtant là à côté d’elle. Alors qu’elle était censée être là pour en apprendre plus sur eux, au final elle vit sa petite vie à elle sans vraiment s’en soucier… Et on peut alors se demander l’intérêt d’avoir voulu créer à tout prix un lien entre eux qui n’est pas vraiment exploité.

En plus, même si l’on sent que ce n’est pas une vie facile à travers plusieurs petits détails brefs mais violents et qui bouleversent, dans l’ensemble Kiku a une vie assez tranquille, qui rencontre peu de difficultés. C’est difficile dans ces conditions de vraiment ressentir la force de ce qui est dénoncé ici, en tout cas sur l’ensemble du texte, et c’est fort dommage.

En revanche, j’ai beaucoup aimé la conclusion du titre, qui montre vraiment les intentions de l’autrice de nous unir en vue d’une lutte commune. Ce lien qu’elle fait avec sa famille présente et avec l’Histoire présente est fort. Elle est bien plus percutante que sur l’ensemble des chapitres se passant dans les camps. Elle délivre alors un vrai message contestataire, un message où elle montre combien le passé est important et qu’il est important de connaître son Histoire, de ne pas la cacher, pour en tirer les bonnes leçons et éviter que les mêmes erreurs se reproduisent.

Ainsi, dans cette histoire en un seul volume, j’ai été frappée par la façon dont est évoquée la communauté japonaise américaine. J’ai l’habitude de connaitre les Japonais par le prisme de ceux vivant au Japon et je n’avais pas connaissance de cette « déjaponisation » qu’ils s’étaient imposés aux Etats-Unis après ce terrible drame de leur histoire. Je trouve donc important qu’on ait ce genre d’ouvrage pour informer les gens, car c’est tout ce que l’on ne souhaite pas à une communauté quelle qu’elle soit.

Pas un coup de coeur mais un ouvrage d’utilité publique !

Je remercie les éditions Rue de Sèvres pour leur confiance et cet envoi !

13 commentaires sur “Les Indésirables de Kiku Hughes

  1. Appréciant les œuvres mêlant fiction et Histoire, je suis néanmoins souvent frustrée de ne pas toujours savoir là où placer le curseur. Je trouve donc très intéressant que soit ici explicité ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas,
    Quant au sujet, je le connais très peu, mais devant son importance, je ne peux qu’être intéressée. Je suis, en outre, horrifiée par cette idée de déjaponisation dont je n’avais jamais entendu parler !

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  2. Tu as raison, c’est un pan de l’histoire dont on entend finalement très peu parler ; et c’est là que ce genre d’ouvrage a tout son intérêt !
    J’avais eu connaissance de ça pour la première fois il y a quelques années en regardant un doc sur ARTE je crois, et je n’en revenais pas …

    Aimé par 1 personne

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