Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Le Rakugo, à la vie à la mort de Haruko Kumota

Titre : Le Rakugo, à la vie à la mort

Auteur : Haruko Kumota

Éditeur vf : Le Lézard Noir

Années de parution vf : 2021-2023

Nombre de tomes vf : 5 (série terminée) – Volumes doubles

Résumé : Dans le Japon des années 1960, Kyoji est libéré de prison pour bonne conduite. Sans famille ni attache, il est déterminé à devenir le disciple de Yakumo, un grand maître du théâtre Rakugo, depuis qu’il a assisté à son impressionnante prestation au bagne. Étrangement le sensei choisit de prendre le jeune homme sous son aile, alors qu’il n’avait jusque-là accepté aucun apprenti, et lui donne même un nom de scène : « Yotaro ». Une nouvelle vie s’ouvre dès lors pour Yotaro qui tentera de faire perdurer cet art l’ayant tant aidé durant ses heures les plus sombres, avec le soutien du domestique Matsuda et de la jeune Konatsu, fille d’un célèbre Rakugo-ka, décédé de façon tragique, qui fut autrefois l’ami et le rival de Yakumo…

maxresdefault

Mon avis :

Tome 1

Pour être tout à fait honnête, j’avais déjà découvert le titre il y a quelques années en anglais grâce au forum de mangaverse où on en avait fait une très belle pub. Je n’avais cependant pas pleinement apprécié le titre et je n’avais jamais continué. Or, avec l’édition française portée par un vrai conteur de Rakugo qui s’en est fait le traducteur ici, j’ai eu envie de redonner sa chance au titre et j’ai eu raison.

Dans un style proche des déesses du josei que sont pour moi Yûki Kodama (Kids on the slope), Akiko Higashimura (Le Tigre des Neiges, Tokyo Girls Tarareba…) et Natsume Ono (Ristorante Paradisio, Gente…), Haruko Kumota a fait le parti pris pas facile à assumer de mettre en scène un pan très particulier de la culture japonaise : le stand-up humoristique sur fond d’histoires se déroulant pendant l’ère Edo, ce qu’on appelle plus simplement le Rakugo. Cet art, je ne le connaissais pas, et je le pensais assez hermétique. Pourtant, elle le porte ici en étendard dans une histoire qui va bien plus loin que la promotion de cet art.

La première fois que j’avais lu cette oeuvre, je lui avais trouvé tout plein de qualités que je lui retrouve encore, dans sa narration, ses personnages, sa facilité à allier récits tranche de vie et polar historique, etc. Mais je n’avais rien compris au Rakugo et ça m’avait même prodigieusement ennuyée. Avec la superbe traduction de Cyril Coppini et surtout sa postface qui explique son parcours et son rapport à cet art, j’ai complètement changé d’avis. Alors je vous invite à faire comme moi et à la lire avant pour vraiment vous immerger dans cet art si particulier !

La saga, regroupée ici dans des volumes doubles, met en scène dans les années 60, un jeune ex-yakuza qui sort de prison et va demander à devenir le disciple d’un grand maître de Rakugo qui le fascine. A la surprise générale, celui-ci qui n’a jamais pris de disciple avant, accepte. Va commencer alors leur vie de maître et de disciple en compagnie de la fille du meilleur ami décédé du maitre, qui était lui aussi un grand artiste dans ce domaine.

Dans un premier temps, l’histoire se veut assez classique. L’autrice nous fait découvrir cet art, son fonctionnement, assez complexe pour la néophyte que je suis, je l’avoue, heureusement qu’il y a des aides à la fin et tout au long grâce aux notes explicatives. Cependant ce train train ronronnant n’est pas désagréable. Il permet de s’installer dans la drôle de dynamique qui régit l’entourage de Maître Yakumo, un homme aussi charismatique qu’il est mystérieux.

Cependant, le titre prend vraiment toute son ampleur quand la jeune fille qu’il élève, Konatsu, l’accuse de la mort de son père, qui était tout autant son meilleur ami que son rival. On comprend alors la relation ambigüe qui relie les deux et surtout l’ambiance étrange qu’il y avait dans leur demeure. Le récit va alors prendre une trajectoire entre le récit de vie et le polar, le doute s’installant sur la relation qui unissait Yakumo à Sukeroku.

Haruko Kumota n’a alors pas son semblable pour croquer les émotions très particulières qui occupent nos héros. On se délecte de l’apprentissage de Kyoki, sa joie de vivre, sa drôlesse et sa grande naïveté malgré ce qu’il a vécu, ainsi que de sa passion pour chaque maître qu’il croise, tandis qu’il cherche son style. On ne peut que resté scotché devant la classe et la grande maîtrise de Maître Yakumo, mais il a aussi une froideur qui peut faire froid dans le dos et on ne sait jamais sur quel pied danser avec lui. Il est très secret. Vient ensuite Konatsu, cette jeune fille à fleur de peau, à qui son père manque énormément et qui regrette de ne pas pouvoir monter sur scène à son tour car elle est une fille et le Rakugo est interprété uniquement par des hommes. Tout cela crée un vrai maelström d’émotions qui nous emporte fugacement au fil des pages. 

La lecture est dense. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois, faire des pauses, entrecouper avec d’autres choses, pour digérer tout ça, mais j’y suis toujours revenu avec le plaisir de retrouver des personnages appréciés et un univers qui me fascinait. L’autrice fait en sorte de nous plonger progressivement dans cet univers. Elle trouve le bon équilibre entre drame, humour et mystère, alternant les chapitres introductifs, développant l’histoire ou revenant sur le passé des personnages. C’est extrêmement bien écrit. Elle rend aussi bien hommage à cet art passé méconnu qu’elle bâtit une histoire autour de ses personnages. C’est très plaisant.

Son trait épuré, offre une grande liberté dans la narration et une belle respiration entre chaque case qui fait du bien dans un récit aussi dense en émotions et événements. J’adore sa façon de planter le décor quand les héros montent sur scène. On les écoute alors religieusement, tout comme on rit quand ils sont drôles. Elle a d’ailleurs une belle palette d’expressions, allant du vieux beau hyper classe, au jeune idiot, en passant par le type mystérieux ou le satire. Elle croque aussi bien les vieux que les jeunes, les chevelus que les chauves, les hommes que les femmes, les riches que les loqueteux, le temps d’après guerre que d’avant guerre. Et il se dégage vraiment quelque chose quand l’esprit de Sukeroku est invoqué, c’est quasi mystique !

Même si ce n’est pas un titre simple à appréhender, j’ai vraiment ressenti quelque chose de fort à sa lecture. J’ai adoré découvrir cet art inconnu pour moi, ses codes et ses histoires. Je me suis rapidement attachée aux personnages, à leur passé et à leur présent. Mais surtout, j’ai été soufflée par le talent de conteuse de l’autrice, qui parvient à jouer sur de nombreux registres, mais toujours avec une vive émotion qui m’a rendue à fleur de peau. C’est une très très belle découverte. Merci au Lézard noir d’avoir osé le pari !

Pour les curieux, voici le premier article que j’avais écrit dessus, il y a 3 ans… (Lien)

Tome 2

Ma découverte du Rakugo, à la vie, à la mort avait été un moment très intense lors de la lecture du premier double tome offert par Le Lézard noir. La lecture étant assez copieuse, j’avoue que malgré la superbe couverture de ce deuxième volume, j’y allais quand même en marchant sur des oeufs. Quelle erreur ! J’ai encore une fois été soufflée par les émotions instillées par Haruko Kumota.

Ce nouveau volume est entièrement consacré au récit de l’histoire passée de Yakumo et Sukeroku, ces deux apprentis rakugoka qui travaillent pour le même maître. Dans le présent, seul Yakumo est encore là et il a une relation complexe avec la fille du second. Il est donc particulièrement intéressant de plonger aux origines de tout ceci. L’autrice avait déjà commencé ce retour dans le passé dans le tome précédent, mais c’est ici que cela prend toute son ampleur.

Dans une valse des sentiments chaotiques, nous allons suivre le trio à l’origine de tout : Yakumo, Sukeroku et bien sûr Miyokichi, la pomme de la discorde. Il est fascinant de voir la relation qu’ils entretiennent tant celle-ci est complexe. Il y a tout d’abord la relation d’amour-haine qu’entretiennent les deux apprentis rakugokas où leur rivalité autour de l’art qu’ils affectionnent tant n’est pas étrangère à cela, mais leurs dépassent cela et on en vient à avoir du mal à les qualifier. Est-ce de l’amour romantique ? Un amour fraternel ? Une fascination réciproque qui aurait mal tournée ? Impossible de vraiment trouver la juste définition. Alors quand Miyokichi s’y glisse, c’est encore plus compliqué. J’ai été touchée par la détresse de celle-ci. Femme de son temps, elle est ballottée d’un homme à l’autre et quand elle tombe amoureuse de Yakumo mais que ce n’est pas réciproque, il est tellement plus facile de tomber dans les bras ouverts de Sukeroku, mais ce n’est vraiment pas la solution…

Cette lente tragique qui se noue entre eux, ne serait rien sans la complexe relation que les garçons entretiennent avec leur art, et celle-ci est vraiment fascinante. Si je ne suis pas passionnée par les histoires qu’ils racontent quand ils montent sur scène, malgré les fulgurances de la mangaka pour rendre la multiplicité des expressions que les acteurs prennent. En revanche, j’ai été fascinée par la complexité de cette univers et ses implications. J’ai adoré la relation trouble des deux héros avec leur art et leur maître. L’un, Sukeroku, voulant révolutionner le genre et se mettant à dos tous les vieux grands maîtres. L’autre, Yakumo, plus classique, jaloux du talent de son ami mais empêtré dans cette tradition dont il ne parvient pas à se détacher malgré ses désirs. Ils s’aiment et s’attirent autant qu’ils se détestent et se repoussent. Il en va de même avec leur pauvre vieux maître. C’est beau, triste et pur à la fois, mais surtout déchirant.

Ainsi, même si la lecture est copieuse, même si certains passages de pièces de rakugo ne m’ont pas passionnée, j’ai été plus que touchée et émue par la magnifique, riche et complexe histoire humaine que cela relate en sous-main. Le portrait du Japon d’après-guerre portait par l’autrice est saisissant, âpre et douloureux. Le lecteur se retrouve comme les personnages à fleur de peau, avec une lecture qui dérange autant qu’elle touche, et ce ne sont pas les compositions graphiques vraiment inspirées de Haruko Kumota qui vont me faire en démordre car si j’ai été autant touchée par ce qui se jouait, c’est également grâce à son trait tellement pur et fin, et sa mise en scène percutante mais épurée. C’est vraiment une grande lecture une nouvelle fois !

Tome 3

Je suis une nouvelle fois soufflée par la beauté et le tragique de cette histoire dont la mise en scène très théâtrale d’Haruko Kumota n’en finit pas de m’émouvoir et me subjuguer. Je ne pensais pas aimer autant un récit sur des conteurs d’histoires humoristiques.

Dans ce tome charnière, l’autrice achève de nous raconter le passé tragique du maître Yakumo et de son ami Sukeroku, ce qui permet enfin de comprendre pourquoi Konatsu lui en veut autant. Comme prévu, c’est une histoire vraiment tragique dont la chute a tout à fait de quoi surprendre tant elle est inattendue. On aura cependant eu l’occasion de revoir ce cher Sukeroku sur scène, un lieu où il brille vraiment de tout son talent, un lieu où il est vraiment en vie. Alors forcément aux yeux d’une petite fille, je comprends qu’il ait tout d’un Dieu et que sa perte laisse un vide immense. Mais l’intérêt du récit a surtout été dans le dénouement tragique de la relation triangulaire Yakumo-Sukeroku-Miyokishi qui est superbe ! L’autrice est en plein dans les codes du genre avec cette tragédie en costume mais c’est ça qui la rend si belle et dramatique, si plein d’émotion et de douleur. J’ai adoré !

Yakumo a alors pris une toute autre dimension à mes yeux, tout comme Konatsu. Et ainsi, la partie présente de l’histoire, qui était celle qui m’avait le moins passionnée est devenue bien plus intéressante. En plus, l’auteur nous offre un joli petit bond dans le temps avec un Yotaro qui a désormais grandi. Il reste l’idiot qu’on connaît mais un idiot bien plus fin et plus fort. Il est en quelque sorte devenu un homme en notre absence, ce qui était nécessaire pour soutenir et tirer à nouveau vers la lumière ces pauvres Yakumo et Konatsu qui ont vécu tant de drame.

Une nouvelle époque s’ouvre devant nous. Il est d’abord très intéressant de redécouvrir Yotaro dans son nouveau statut et le nouveau nom qu’il va prendre. Moment magique quand il en fait la demande au passage, un très beau et émouvant passage de relais, plein de symbolique. Puis on aime assister à tous ces petits moments de vie où les trois héros vont tisser de nouveaux liens venant guérir les précédents, que ce soit Yotaro qui cherche à comprendre et prendre soin de Konatsu, Yakumo qui ose enfin affirmer sa relation ambiguë avec elle et semble plus apaisé, ou Konatsu elle-même qui s’adoucit et ose parler de ses peurs. C’est une nouvelle vie à trois, puis à quatre, avec l’arrivée inattendue d’un bébé, qui va s’engager entre eux et c’est superbe !

Tout le travail de l’autrice sur les émotions complexes de ce trio est incroyable. Elle arrive à parler avec subtilité et sans le moindre jugement des choix plus que douteux de plusieurs de ses personnages, que ce soient les parents de Konatsu ou cette dernière. On ressent toujours beaucoup d’émotions face à eux. On a mal pour eux, on est triste de ce que la vie leur a réservé. Mais c’est aussi touchant de les voir peu à peu changer au contact de la bonne personne et l’écriture de Konatsu est très intéressante en cela car elle passe d’enfant rayonnante, à ado – femme revêche, pour s’attendrir à nouveau petit à petit et retrouver la lumière depuis qu’elle est mère. Yotaru n’y est pas pour rien. Cet ancien yakuza qui se reproche tant son passé ne porte du cou aucun jugement sur celui des autres et est ultra ouvert d’esprit, c’est ce qui lui permet de s’adapter si bien à ce nouvel environnement.

Et quand est-il du rakugo au milieu de tout ça ? J’apprécie de plus en plus d’en lire des extraits à travers les pièces jouées. Il faut dire que l’autrice arrive à retranscrire à merveille les multiples expressions nécessaires chez les acteurs pour les jouer, ainsi que les différents styles que chacun adopte. C’est fascinant. La dernière scène où elle ressuscite Sukeroku est magique, par exemple ! Mais elle ne se contente pas que de ça, elle évoque aussi avec passion et réalisme l’évolution de cet art, son histoire, son actualité et son devenir en danger. Elle le confronte avec le manzai, cet art plus moderne qui vise à le remplacer en s’adaptant à un public plus versatile. Mais elle ne renonce pas non plus, comme ses héros, à lui redonner ses lettres de noblesse en le modernisant. Elle appelle alors Yotaro à trouver son propre style et à écrire ses propres pièces. Est-ce qu’il y parviendra ? Seul l’avenir nous le dira.

Dans ce nouveau tome déchirant mais lumineux,  Haruko Kumota a encore réussi le tour de force de me séduire avec une histoire et des personnages que je ne pensais jamais autant apprécier au début. La dramaturgie de sa mise en scène, qui comporte de véritables coups de génie sur certaines planches (fin du récit de leur passé, nomination du nouveau Sukeroku…), ainsi que son travail tout en nuances et subtilité des personnages, tout comme son traitement réaliste et fascinant du rakugo me passionnent et font de ce titre un quasi coup de coeur au fil des tomes !

Tome 4

Quel tome magistral, mais magistral ! Une claque mettant en scène les transformations et bouleversements d’un art et de ses interprètes alors qu’ils vieillissent et que les temps changent. Que c’est bien écrit.

Haruko Kumota met superbement bien en scène cet art populaire qu’est le Rakugo et tout ce qu’il revêt. C’est magique sous sa plume d’assister aux représentations en public de nos héros et de voir la passion qu’ils éprouvent pour cet art ainsi que la force qu’ils mettent dans leur jeu. J’ai beau ne rien connaître aux histoires, juste regarder la variété de jeu et d’expressions des acteurs rend ses moments hyper percutants et émouvants. J’adore les voir sur scène.

Mais plus que cela, c’est l’histoire de cet art qui émane de la lecture et nous transperce. Nous sommes face à des hommes et des femmes qui nous transmettent un art séculaire, un art qui se retrouve confronté aux changements des ères et donc à sa lente disparition. Mais ils ne veulent pas se laisser abattre et lutte pour le faire évoluer et surmonter ce lent glissement. C’est beau et cela en dit long sur leur passion mais aussi leur talent.

Le saut de génération entre le Sukeroku passé, le Sukeroku présent et la future génération est excellent. L’émotion nous prend à chaque étape. La découverte du destin tragique du premier, le visionnage d’un spectacle de celui-ci puis le lien qu’on fait avec son petit-fils dans lequel il semble s’être réincarné est puissant. J’ai adoré le souffle apporté par ce dernier et soutenu par le saut dans le temps qu’on connaît qui nous permet de voir Yotaro et Konatsu, désormais parents et partie prenante du monde du Rakugo. Avec eux, vient la question de la place de la femme, mais aussi de l’héritage et les histoires de famille reviennent en force.

Depuis le début, plus que leur jeu, leur statut d’acteur ou leur côté passionné, c’est leurs histoires de famille qui me passionnent. J’ai été bouleversée par les jeunes années Yakumo et son histoire avec les parents de Konatsu. Je le suis à nouveau par l’homme vieillissant qu’il devient qui a peur de ce corps et cet esprit qui lui échappent et qui fait peur ainsi à son entourage. C’est poignant de le voir basculer lentement, sous le regard de ses proches qui tentent de le soutenir et de lui faire garder espoir. Le petit nouveau de l’histoire, le fils de Konatsu, est une bouffée de fraîcheur dans ces vieilles histoires. Il a l’air coquin de son grand-père, il possède la même passion et on sent que ça fait du bien à Yakumo qui revoit son ami passé en lui. C’est très émouvant, surtout aux côtés de Konatsu et Yotaro, désormais couple solide et émouvant, différents mais qui se comprend.

Série puissante dans laquelle  Haruko Kumota dit tellement sur le temps qui passe et ses manifestations sur l’art et ses interprètes mais aussi plus simplement sur les hommes et femmes qu’il y a derrière. Une nouvelle génération nous apparaît tandis que l’ancienne disparaît doucement en laissant un bien bel héritage. C’est terriblement émouvant.

Tome 5 – Fin

Série que j’adore depuis le début pour les émotions qu’elle me fait ressentir alors que rien ne me préparait à aimer cette histoire sur fond de stand-up humoristique, elle se conclut par un superbe coup de coeur pour rendre hommage à toute la justesse dans l’autrice a fait preuve dans son écriture de l’histoire de ces générations de rakugoka.

Il va m’être dur de trouver les mots pour rendre toutes les émotions que j’ai ressenti tout au long de ce long tome d’au revoir à la couverture si bien choisie pour l’édition française. Le travail d’Haruko Kumota pour raconter le passage de témoin entre les différentes générations de conteur de rakugo est fantastique. Sa personnification en la personne de Yakumo pour qui on assiste avec lenteur et délicatesse à la fin est d’une rare émotion. C’est déchirant et en même temps tellement beau.

On sent un grand amour pour le rakugo dans l’ensemble de l’oeuvre mais encore plus ici avec les nombreux acteurs que l’on voit jouer et qui ont chacun leur style, ce qui se retrouve dans les dessins. Quel talent ! On sent cet amour aussi dans le discours que chacun porte sur son art, entre un ancien, Yakumo, qui veut conserver les lettres de noblesse de cet art et est intransigeant, et des plus jeunes qui eux veulent le moderniser sans le perdre, ce que fait à merveille Yotaro mais également son fils Shinnosuke, qui sera presque la synthèse des deux. Il y a aussi l’admiration sans borne qu’ils se prêtent les uns aux autres qui transpirent entre les pages et rend très émouvantes ces passations qui s’opèrent. Et c’est sans parler des lieux, les Yosés qui ont aussi leur importance, l’autrice leur offre une place dans le décor et nous fait sentir l’ambiance qu’il peut y avoir. C’est magique.

Mais plus que tout, c’est l’histoire de la famille de Yotaru, Yakumo et Konatsu, de leurs parents, de leurs enfants, qui m’aura touché en plein coeur. Ce tome est un long au revoir de Yakumo à tout le monde et de tout le monde à Yakumo. La mangaka sublime ce moment difficile. Elle prend son temps. Elle choisit des scènes clés, des lieux, des thèmes, des significations. Et tout nous saisit ! On est triste quand on voit Yakumo qui ne peut plus monter sur scène. On frétille de joie quand il se redonne une chance. Puis on tremble en comprenant que c’était la dernière fois. Cette difficulté à lâcher la scène est poignante mais encore plus cette impossibilité à tourner la page sur son passé, cette tragédie qui l’a accompagné de tout temps et qui l’accompagnera jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il trouve l’apaisement.

Cet apaisement est au coeur de tout et la mise en scène des obstacles rencontrés est saisissant. J’ai été bouleversé par les visions de Yakumo tout au long du tome, leur allure entre fantastique et foi, leur côté très traditionnel, et leur façon de remonter aux racines du mal et du bien également. Tout prend sens, tout s’éclaircit, tout se discute et s’entend enfin. On ne peut que sortir bouleversé par l’histoire et les derniers moments de cet homme à la vie si tragique et si belle à la fois. L’autrice a su parfaitement le mettre en scène avec une rare poésie et de manière si particulièrement marquante qu’il me manque les mots pour évoquer cette symbiose entre histoire vécue, histoire racontée et histoire fantasmée. Pépite !

Ainsi j’ai adoré suivre l’histoire de cette famille si particulière dont la passion pour cet art oral qu’est le rakugo s’est transmis non sans difficulté mais toujours avec honnêteté et émotion. Ce fut beau de voir l’évolution de Yotaro, ancien voyou, devenu père de famille aimant et pilier du Rakugo au Japon. Ce fut émouvant de suivre l’épanouissement de Konatsu, cette orpheline si longtemps en colère, qui va réussir à se créer sa propre famille et qui va réaliser son rêve, un grand rêve, [spoiler] en devenant la première femme rakugoka ! Ce fut poignant de suivre le fluet Yakumo élever tout ce petit monde, lui qui semblait vouloir rester seul, et qui a trouvé tellement de gens à aimer. Alors oui, le passé fut dur à oublier, à accepter, à mettre derrière, mais quel beau futur l’autrice nous promet et nous montre avec les nouvelles générations et l’évolution qu’ils apportent à cet art traditionnel. J’ai trouvé ça magnifique et tellement porteur !

Le Rakugo à la vie à la mort prend tout son sens dans ce premier tome où passé, présent et futur se rejoignent enfin, où ancienne et nouvelle génération se mélangent, et où la transmission est au coeur de tout : transmission des sentiments, transmission des passions, transmission des traditions. C’est beau, c’est poignant, c’est émouvant. C’est dramatique, c’est poétique, c’est lumineux. Ombre et lumière se côtoient dans une mise en scène sublime évoquant à merveille l’art invoqué ici et ses racines quasi mystiques. Chapeau bas à Haruko Kumota pour un tel final et une telle oeuvre !

Ce diaporama nécessite JavaScript.

© 2011 by Haruko Kumota

9 commentaires sur “Le Rakugo, à la vie à la mort de Haruko Kumota

  1. Si tu ne l’as pas encore regardé et si tu as l’occasion, n’hésite pas à jeter un œil sur l’adaptation anime 🙂 Elle est de nouveau dispo sur ADN 😉
    Et comme toi, j’ai trouvé la lecture très dense, je ne suis pas vraiment convaincue par le choix du double tome, et j’ai dû faire des pauses dans ma lecture. Et le travail de traduction est top, j’ai apprécié le mot du traducteur qui explique son parcours. Une belle découverte ❤

    Aimé par 1 personne

    1. J’aimerais bien découvrir l’anime à l’occasion effectivement pour entendre ce phrasé que j’imagine assez particulier.
      Après pour la question du volume double, j’imagine que c’est tout simplement plus économique pour l’éditeur et que ça évite une érosion trop rapide du titre ^^’
      Mais ravie de voir que je ne suis pas la seule à avoir été séduite 😉

      J’aime

  2. Merci pour cet article éclairant. Je pense passer mon chemin après lecture car j’ai peur de justement ne pas rentrer dedans à cause de la densité du titre. Et comme en plus l’esthétique des planches ne me parle pas de prime abord ET que j’ai déjà fait quelques craquages, il serait plus sage de rester prudent !

    Merci à toi du coup !

    Aimé par 1 personne

    1. Il faut arriver à trouver des raisons pour écrémer vu toutes les sorties, je le regrette, mais je comprends aussi, nos porte-monnaies ne sont pas extensibles ^^!
      Après si jamais le titre est dispo en médiathèque, tu auras peut-être l’occasion d’en lire quelques chapitres pour te faire une idée, car vraiment je pense que l’histoire de ce repris de justice et du vieux beau pourrait tout de même te plaire >< (non je n'insiste pas…)

      J’aime

  3. Déjà merci pour la découverte d’un art que je ne connaissais pas mais sur lequel je vais faire quelques recherches.
    Si je ne pense pas craquer, en dehors d’un éventuel emprunt, cette œuvre a l’air d’une densité exigeante, mais enrichissante et fortes en émotions. L’autrice semble capable d’offrir une large palette d’émotions en plus de savoir illustrer avec un talent constant des physiques très différents…

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire