Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Ocean Rush de John Tarachine

Titre : Ocean Rush

Auteur : John Tarachine

Traduction : Olivier Malosse

Éditeur vf : Akata (M)

Année de parution vf : Depuis 2023

Nombre de tomes vf  : 5 (en cours)

Résumé : Voilà presque deux mois que le mari d’Umiko est décédé. Depuis, cette grand-mère de 65 ans prend le quotidien comme il vient, sans trop se poser de questions. Mais un jour, ses pas la mènent dans une salle de cinéma. Elle y rencontre Kai, qui fréquente la section cinéma d’une faculté d’arts. De fil en aiguille, et au fur et à mesure de leurs discussions, Umiko réalise une chose : ce qu’elle désire en réalité, c’est devenir réalisatrice de films ! Mais à son âge, est-ce bien raisonnable d’envisager une nouvelle carrière ?

Mon avis :

Tome 1

Je suis le travail de John Tarachine depuis son premier titre proposé par Akata : Goodnight I love you car j’aime les ambiances que l’autrice cherche à nous communiquer à travers ses histoires de transmissions entre générations. Je suis donc ravie de pouvoir avoir entre les mains son tout dernier récit : Ocean Rush qui promet encore une bouffée d’émotion brute.

Dans chacune de oeuvres que j’ai lu de celle-ci, j’ai vraiment aimé voir son trait et ses messages évoluer et se transformer pour correspondre à l’histoire contée. Ici, en nous plongeant aux côtés d’une mamie qui vient de perdre son époux et qui se voit offrir un second souffle dans la vie, elle nous tourne du côté du cinéma, ce qui transforme son trait de manière frappante. Dans Goodnight I love you, elle avait un dessin très proche du croquis de sketch book ; dans La sorcière du château aux chardons, elle semblait avoir emprunté au fantastique d’une Akie Irie dans Le monde de Ran ; désormais elle présente un trait beaucoup plus posé, plus fin, plus actuel aussi qui n’est pas sans rappeler celui de Yūki Kamatani (Eclat(s) d’âme, Nos c(h)oeurs évanescents, Hiraeth) sans sa folle poésie. Ses compositions sont surtout empreintes ici d’un oeil cinématographique poignant et percutant.

Du fait de son thème, beaucoup ont comparé Ocean Rush à BL Metamorphose où il est aussi question de la rencontre d’une grand-mère et d’une jeune femme qui vont partager la même passion. Pourtant en dehors de ce thème commun, je n’ai pas trouvé beaucoup de ressemblances entre les deux oeuvres. Le ton, l’ambiance, le rythme, les dessins, tout cela diffère et pour ma part, j’ai préféré ceux de John Tarachine où j’ai eu l’impression de sentir plus de sincérité.

J’ai aimé faire la rencontre d’Umiko, cette mamie qui vient de perdre son mari et qui réalise ce que ça va être de vivre seule. Par le biais du cinéma, passion commune avec son mari décédé, elle va se réveiller et reprendre sa vie en main plutôt que de se contenter d’être « une mamie », ce qui ne lui convient pas. A la faveur d’une rencontre comme seul le destin peut en mettre sur notre chemin, elle va croiser Kai, un garçon aux allures androgynes passionné de cinéma lui aussi, qui va à la fac malgré l’avis contraire de ses parents, et qui semble briller au milieu de toute cette nonchalance. Kai reste encore très mystérieux, l’autrice cultive le secret autour de lui, mais ce sera aussi l’élément déclencheur de cette histoire et en quelque sorte le génie de la lampe pour Umiko, bref son guide dans cette nouvelle vie.

Malgré un ton en tantinet morose, j’ai aimé les touches d’humour glissées dans l’histoire qui vont faire avancer celle-ci. On part d‘un postulat un peu lourd avec ce veuvage d’un côté et cette pression familiale de l’autre, pourtant la rencontre des deux est lumineuse. L’autrice n’en fait pas des tonnes, elle est juste dans le parcours de chacun qu’elle décrit. Elle montre bien la difficulté pour Umiko d’oser reprendre sa vie en main, d’aller vers les autres, de vivre sa passion et surtout de reprendre des études, ce qu’on pense réservé aux jeunes. Elle ne balaye pas plus rapidement le parcours de vie de Kai et ce qu’il a dû vivre, ce qu’il a dû affronter ou sacrifier pour arriver là. Aucun des deux n’a eu une vie facile, mais c’est ce qui va nourrir leur art.

Cet art, cette passion commune est également ce qui a nourri mon intérêt pour cette oeuvre. On sent la passion de l’autrice même pour ce médium qu’elle a autrefois étudié et vers lequel elle est revenue ici. Dans les compositions des pages mais aussi de l’histoire, on sent le poids du regard de la caméra. Il y a un vibrant hommage à l’importance de capturer des moments, à l’envie de raconter des histoires, que ce soit des choses totalement fictives et inventées ou bien des moments du quotidien qu’on va sublimer. L’autrice nous montre la force et la richesse de cet art mais aussi son exigence derrière la facilité et la difficulté à le faire vivre. J’ai énormément aimé sa matérialisation à travers ces vagues, cette écume, qui vont peu à peu emporter Umiko et Kai sur leur passage pour fixer sur la pellicule le résultat de leur rencontre.

Il y aurait encore énormément à dire sur ce titre qui évoque le deuil, le veuvage, la vie en solo, la condition des retraités et personnes âgées au Japon, les études à la fac, la place de l’art dans la société japonaise, le poids de certaines famille pour que leurs enfants aient un « bon métier », la reprise d’étude, le jeunisme, et j’en passe car l’autrice inclut tout cela de manière archi fluide à son histoire pour en faire un tout vraiment actuel et riche en réflexions.

J’avais beaucoup aimé BL Metamorphose au début pour le duo formé mais la passion commune aux deux n’avait été qu’un prétexte et s’était vite essoufflée. J’ai espoir que ce ne soit pas le cas d’Ocean Rush où on sent une passion vibrante de l’autrice pour le cinéma et une utilisation de celui-ci pour cimenter la relation et la destinée de ses personnages. Reprendre sa vie en main, changer de voie, oser suivre sa passion n’ont rien de facile et l’autrice nous le conte avec émotion et sincérité dans un titre mélancolique, douloureux même parfois, mais inspiré.

>> N’hésitez pas à lire aussi les avis de : Les voyages de Ly, Vous ?

Tome 2

John Tarachine est vraiment captivante, avec cette nouvelle série elle capte totalement mon attention et mon coeur dans les cheminements trouble de cette grand-mère qui tente de redonner un sens à sa vie. Émotion garantie !

Umiko est retournée sur les bancs de la fac pour apprendre à filmer, tourner et raconter des histoires, sa passion. Mais ce n’est pas aussi simple qu’elle le croyait et elle va se retrouver au milieu de tout un tas de critiques qui vont la faire se remettre en question et réfléchir sur sa passion mais pas seulement.

J’ai beaucoup aimé dans ce tome, comme c’est le cas dans Blue Period, voir un auteur capturer aussi bien l’essence de la vie à la Fac. Souvent on nous montre trop ce lieu comme un lieu d’épanouissement personnel et de soirées, de rencontres, de fun. Alors que c’est aussi un lieu de remise en question, de critiques et de recherche de soi. John Tarachine comme Yamaguchi Tsubasa nous propose des visions plus réalistes de ces années-là et ça me parle.

Même adulte, même âgée, Umiko a toujours des choses à apprendre, c’est ce qui nous montre ce tome. Elle va ainsi découvrir que ce n’est pas si simple de tourner un film, qu’il faut vraiment penser à l’histoire qu’on veut raconter, au public, aux acteurs, aux mots qu’on choisit, au lieu où on veut le diffuser, etc. Elle va aussi réaliser qu’elle vivait dans un cocon et que tout le monde n’a pas les mêmes goûts et aspirations qu’elle, qu’il existe des gens qui n’ont jamais été et ne peuvent être amoureux, à qui l’amour ne parle pas aussi bien dans la vie que dans les films, et que ce n’est pas grave.

John Tarachine nous propose vraiment une panoplie de personnages plus vrais que nature. Cela m’avait frappé avec Umiko, lors de notre rencontre, et du récit de sa façon de vivre son veuvage. C’est à nouveau le cas avec Kai, dans ce tome et son rapport aux autres, aux relations, mais aussi à sa passion obsédante pour le cinéma. L’autrice nous livre des pages magnifiques avec lui dès qu’il ouvre la bouche mais aussi dès qu’on le met en contact avec d’autres, comme son ami d’enfance retrouvé. Et je dois que même les personnages secondaires, Guchi, me semblent très bien écrits, avec finesse et tact, mais surtout bienveillance.

C’est ainsi une vraie leçon de vie que nous livre John Tarachine dans Ocean Rush, avec plein de petites phrases qui font mouche l’air de rien et qui nous poussent nous-mêmes à réfléchir. On peut avoir l’impression que l’histoire va nulle part ou va dans un mur, mais non, elle raconte juste la vie dans sa plus pure expression et c’est justement pour cela que ça fonctionne si bien pour moi. J’ai hâte de voir ce qu’elle aura encore à nous raconter dans les prochains tomes.

Tome 3

C’est encore avec émotion que j’ai retrouvé Umiko dans son projet pas toujours si clair de reconversion où elle laisse enfin exprimer ses passions et désirs les plus profonds.

Le parcours de cette petite mamie dans l’explosion de sa passion pour le cinéma et la réalisation est vraiment des plus touchantes. C’est le moteur clé de cette saga qui paradoxalement, alors qu’elle a une héroïne qui affirme de plus en plus ses désirs, devient plus flou pour moi à la lecture. J’aime donc suivre les déboires de jeune vieille étudiante d’Umiko mais je suis un peu perdue dans ce qu’elle vit avec ses condisciples, surtout avec Kai qui n’est pas des plus clairs.

Il y a cependant toujours une très belle émotion et on prend plaisir à voir Umiko tourner, filmer des films et se faire remarquer grâce à tout ce qu’elle y met d’elle-même, du moins c’est ce que nous dit l’auteur, car cela manque un peu entre les pages, on ne nous le montre pas assez. Le court métrage qu’elle tourne avec Kai sur la violence des mots est par exemple très intense mais trop brièvement montré à nous lecteur.

A la place, on suit le récit trouble de ce que font aussi Kai et Sora, sauf que je ne parviens pas bien à cerner ces deux jeunes gens, ce qu’ils veulent, ce qu’ils font et c’est assez perturbant à lire, je me sens un peu perdue à leur contact. J’aime leur part d’étrangeté et de mystère, la façon dont l’autrice met ainsi en scène, un peu, l’artiste maudit et différent des autres que tout le monde, dont nous, ne le comprend pas, mais j’espère qu’il y aura des clés plus tard, sinon on risque d’en rester à l’intention et ça ne suffit pas.

Ce tome fut donc une lecture assez trouble et nébuleuse, alors que paradoxalement Umi s’affirme et se fait remarquer par un de ses profs, mais les lignes de Kai et Sora parasite un peu cela et je ne sais pas trop si l’autrice sait où elle va. Heureusement les messages sur le cinéma, la création, le monde vu par les artistes se suffisent à eux-mêmes et nous procurent une belle émotion. Cela sera forcément réussi rien que pour cela !

Tome 4

Je le sentais depuis plusieurs chapitres mais cela se confirme ici, la série fait du surplace et malgré toutes les bonnes intentions de l’auteur, je commence à m’ennuyer à ne pas voir le bout de leurs productions artistiques.

J’avais commencé la série passionnée par la vision de John Tarachine, qui offrait une seconde chance à son héroïne âgée de reprendre sa passion grâce à une rencontre. Je m’attendais donc à la voir vivre sa passion. Je dois avouer que je cherche un peu trop ces moments.

Ce n’est pas mauvais en soi, mais l’auteur s’est embourbé dans d’autres considérations qui nous éloignent de trop des tournages, des prises de vues, des idées et inspirations. C’est certes intéressant de voir les difficultés que même un génie comme Kai peu avoir lorsqu’il s’agit de diriger, ou celles d’Umiko pour écrire un scénario intéressant et pas trop cliché, mais ça ne va pas plus loin. L’auteur pose des problématiques mais ne les développe pas plus que ça et ça m’ennuie.

J’ai vraiment eu une grosse sensation de vide parfois dans ce tome, à me demande à quoi servait les scènes et dialogues que je voyais et lisais. J’aime pourtant beaucoup les interventions de Sora et le moteur qu’il devient pour chacun mais il est un peu trop lunaire pour que j’adhère complètement. Il n’a pas l’air bien implanté dans la série et semble à chaque fois passer en coup de vent, lançant une idée puis repartant. Bof. De la même façon, on nous balance à figure, sans prévenir, les problèmes relationnels de Kai et sa famille, mais à part une scène des plus brève rien de plus n’est écrit ou développé dessus. Il y a vraiment un problème.

La seule chose un tant soit peu écrite, et heureusement, c’est la relation Kai-Umiko qui reste très belle et touchante. J’aime leur façon de se soutenir, de s’apporter de l’aide, souvent avec distance et modestie mais tout de même en étant là l’un pour l’autre. Leur passion commune à des âges bien différents est belle à voir, de même que les moments qu’ils partagent autour de celle-ci, mais peut-être aussi encore plus les moments où il s’agit d’évoquer leur vie personnelle avec le décès du mari d’Umiko et la famille de Kai. D’ailleurs, on tient peut-être les plus belles pages du tome avec la scène où ils échangent sur la tombe de celui-ci et où Umiko revient sur sa posture de femme mariée autrefois. Une très belle réflexion sur ce rôle qu’on lui avait attribué.

Voilà donc un tome qui m’embête un peu. S’il offre de belles réflexions sur le statut de la femme mariée et son indépendance et une relation intergénérationnelle des plus touchantes dans le soutien qu’elle s’apporte, le scénario, lui, reste au point mort et je m’ennuie un peu. Fini les belles planches qui se fixent sur la rétine. J’ai besoin de plus de création artistique en direct et non en rapporté !

Tome 5

Premier tome 5 pour John Tarachine et je dois avouer que cela se sent un peu, dans un tome qui heureusement retrouver ses racines, mais repose avant tout sur l’émotion et non sur la clarté ^^!

J’aime beaucoup Ocean Rush depuis ses débuts pour la réflexion qu’il propose de manière assez méta sur la vie d’artiste et notre rapport à l’image et aux films en particulier. Cependant, je dois aussi reconnaître qu’il y a de nombreux moments où c’est assez abscons. Cela fut particulièrement le cas dans les précédents tomes et c’est encore un peu le cas ici, même si on commence à voir le bout du tunnel.

Il y a d’abord une très belle ouverture qui se propose de revenir sur la perte de motivation d’Umiko qui est en train de lâcher prise face à la pression et à cause des rivalités avec les autres cinéastes de son entourage. C’est conté de manière assez intimiste et poignante, avec une très belle économie de mots et surtout un puissant message méta, qui m’a vraiment parlé. Mais aussi un retour à la relation originelle Umiko-Kai qui m’a prise au coeur et m’a fait un bien fou, car c’est ça l’essence de l’histoire.

On assiste alors à une artiste qui se trouve et se retrouve, ce qui est vraiment poignant mais aussi fascinant pour nous lecteurs qui nous passionnons pour le métier d’artiste, ses failles et ses forces, ses mécanismes et ses sources. A nouveau sans rien dire, juste en montrant, l’autrice en dit beaucoup et c’est là toute la force de ce tome dont les mots importent peu finalement par rapport aux choix et aux regards posés. Umiko se relance, repart dans sa passion, retrouve sa voie et Kai l’y aide. C’est juste beau. Pas besoin d’en faire ou dire plus.

Reste un discours assez complexe sur la création. L’autrice nous montre combien c’est un univers compétitif qu’on le veuille ou non, qu’on nous le transmette ou qu’on se l’impose. Elle nous montre la fragilité des âmes et des projets qui en découlent. On peut s’emballer et partir bille en tête, comme sombrer et ne plus rien produire. Ici, cela a failli arriver à Umiko à cause de la pression et des comparaisons qu’elle s’était mise en tête. Heureusement que Kai sans le vouloir a su la remettre sur les rails, car tout comme lui, on a envie nous aussi de la voir trouver le bonheur dans cette passion et on a envie de voir enfin son projet.

Titre vraiment intimiste et arty, Ocean Rush semble s’écrire au fur et à mesure de l’espace offert à son autrice, tout comme son héroïne écrit son histoire au fil de ses états d’âme. C’est poétique, intrinsèquement intimiste et très méta. Il y a une certaine magie dans cette mise en scène tellement économe et avare en mots, mais une belle force derrière, qui je veux le croire pourrait parler au plus grand nombre s’il osait franchir le pas. Espérons que la venue de l’autrice au Salon du livre de Bruxelles aura débloqué quelques réticents.

2 commentaires sur “Ocean Rush de John Tarachine

  1. La multitude des thèmes abordés est attrayante surtout que cela semble fait sans lourdeur. Mais adorant les relations intergénérationnelles, c’est surtout cet aspect du manga qui me donne envie de le découvrir. Le mélange entre la mélancolie, la lumière et la passion semble particulièrement réussi !

    Aimé par 1 personne

    1. J’aime aussi beaucoup ce trait dans les quelques oeuvre que j’ai croisées en parlant. Du coup, je suis heureuse d’avoir celle-ci en ce moment, surtout que ça me permet de suivre une autrice que j’apprécie de plus en plus ^^

      Aimé par 1 personne

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