Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Golden Sheep de Kaori Ozaki

Titre : Golden Sheep

Auteur : Kaori Ozaki

Editeur vf : Delcourt-Tonkam (seinen)

Année de parution vf :  2020 – 2021

Nombre de tomes vf  : 3 (série terminée)

Histoire : Selon la légende « si vous écrivez un souhait, que vous l’enterrez sous la Tour des Moutons et que vous le déterrez au bout de 7 ans et 7 mois, votre souhait se réalisera… » Tsugu Miikura, revient dans sa ville natale et retrouve ses amis d’enfance avec lesquels elle avait enterré une capsule témoin à l’école primaire. Elle découvre alors que les liens d’amitié qu’elle pensait indestructibles se sont fissurés petit à petit.

Mon avis :

Tome 1

Kaori Ozaki est autrice que j’aime suivre depuis ma découverte du oneshot Our Summer Holiday, puis de sa longue série Immortal Rain. Il y a chez cette autrice un ton mélancolique qui plait et un angle de vue sur l’adolescence, ses mal-être et ses bouleversements qui me touche. Je suis donc ravie de voir que Delcourt-Tonkam poursuit la mise en avant de cette autrice dans la langue de Molière avec Golden Sheep, sa dernière série en date.

Composée de 3 tomes au Japon et étant terminée, Golden Sheep est le récit du quotidien d’un quatuor d’amis qui se retrouvent des années après que l’une d’entre eux les ait quittés. Tsugu avait dû partir avec sa famille mais revient après la séparation de ses parents et pense retrouver Sora, Yushin et Asari tels qu’elle les a laissés enfant. Ce n’est malheureusement pas le cas et les sourires de façade vont bien vite se fissurer pour un quotidien bien plus cruel.

En voyant la couverture du tome 1 et en connaissant l’autrice, je me doutais bien que l’histoire ne serait pas toute rose. D’ailleurs les premières pages nous mettent direct dans l’ambiance avec le récit tonitruant d’une tentative de suicide avortée. Le sujet est posé. On parlera de mal être, de harcèlement, de délitement de la cellule familiale et du complexe temps qu’est l’adolescence. Pour autant, alors qu’on pourrait s’attendre à un ton pesant, l’autrice sait éviter cet écueil. Elle joue énormément sur les non-dits, les sourires et la bonne humeur de façade certes mais qui permettent tout de même de souffler au milieu de la noirceur du récit. C’est typiquement japonais comme narration, on l’a déjà vu plein de fois dans les mangas, mais c’est extrêmement bien fait ici et ce n’est pas pour nier la gravité de la situation, loin de là.

En effet, Tsugu retrouve ses amis qui semblent pareils que par le passé. Sora a l’air toujours aussi gentil et empoté, Yushin est toujours aussi beau et charismatique, Asari toujours aussi douce et amicale. Sauf que quand on creuse, ils ont chacun de grosses casseroles derrière eux. Sora est victime de brimades au lycée, Yushin est devenu le petit caïd du coin et Asari n’est pas si gentille que ça, elle est très jalouse de Tsugu, qui elle même est bien fragile dans la nouvelle vie où elle cohabite avec une nouvelle cellule famille complexe composée de ses soeurs, mère, nièce… Pas simple pour des adolescents de vivre avec tout ça et même si on aimerait revoir le petit groupe d’amis d’autrefois, on sent bien que ce ne sera pas possible.

Le génie de l’autrice, c’est de ne pas raconter tout ça frontalement de manière sombre, pesante et malaisante, comme on le trouve parfois dans les seinen, n’est-ce pas messieurs Asano et Furuya ? (Oui, je ne vais pas me faire des amis, je sais. J’adore Solanin, La fille de la plage et DDD d’Asano, mais le reste…) Bref, ici c’est plus subtil. L’autrice insère ça tranquillement, l’air de rien dans son récit au détour d’une page, il y a des petits indices qui nous amènent lentement à comprendre ce qui se passe et la tension monte ainsi peu à peu, nous saisissant à la gorge quand on réalise l’ampleur du mal être de chacun et les conséquences de leurs actions. Dès ce premier tome, on est amené à comprendre les changements qui se sont opérés en eux, leur origine et leur bien triste résultat. C’est donc un tome d’exposition très bien mené qui ne perd pas de temps et nous plonge directement dans le sujet malgré l’impression d’une certaine lenteur qui peut se dégager de la narration.

Les personnages sont tels qu’on les connait dans les autres récits de l’autrice, des adolescents banals en apparence mais à fleur de peau à l’intérieur et ayant vécu des choses pas drôles. La mangaka a la force de faire apprécier chacun d’eux, de la fan de guitare un peu garçon manqué, au garçon un peu mollasson et tête de turque, en passant par le méchant harceleur assez fragile au final, à la petite peste qui se cache derrière un visage gentil. Tous ont des failles mais tous ont un bon fond. Il leur est juste arrivé quelque chose qui leur a fait du mal et les a poussés à changer, parfois pas pour le meilleur. Je mettrais juste un petit bémol non sur l’empathie qu’on ressent pour eux mais sur l’entrain qu’ils peuvent apporter au récit. Je trouve Tsugu, parfaite en tant qu’héroïne parce qu’elle a une passion à nous partager, celle de la guitare et des vieux groupe de musique venant de ce père qu’elle ne voit plus, et qu’elle l’électron libre qui va venir secouer cette situation nauséabonde. Par contre, les autres sont un peu trop passifs et du coup, ils n’aident pas vraiment l’histoire à avancer. Ça donne envie de leur mettre un bon coup de pied au derrière et de les réveiller, en particulier Sora. Pour le moment, c’est vraiment le personnage de Yushin qui m’a tapé dans l’oeil avec la déconstruction du mythe du méchant harceleur que l’autrice va en faire, plus que le classique souffre douleur qu’est Sora ou la jalouse qui tourne mal qu’est Asari. Les personnages sont donc inégaux.

Si graphiquement vous aimez les pages claires, facilement lisibles et pourtant très bien construites grâce à un style simple et maîtrisé, vous allez vous régaler. Je trouve qu’il y a un côté très « force tranquille » dans les dessins et compositions de Kaori Ozaki, ce qui me fait dire que ça doit être loin d’être le cas en réalité et qu’il y a un gros boulot derrière. Malgré la froideur que l’on peut ressentir devant le peu de traits nécessaires à la réalisation des visages des personnages, il se dégage aussi une grande variété des expressions paradoxalement. Moi, je suis séduite et je ressens d’autant plus fort les émotions qu’elle cherche à faire passer, mais je ne sais pas si ce sera le cas de tous.

Sans surprise, Golden Sheep fut encore une très bonne lecture grâce au ton, à l’ambiance et aux thèmes que développe Kaori Ozaki, une autrice que j’affectionne. Ce mélange de passion musicale, de portrait d’une adolescence à la dérive et de dénonciation des brimades scolaires ainsi que du délitement familial et de ses conséquences sur les enfants est très réussi. Sous ses dehors tranquilles, l’autrice y va fort et appuie là où ça fait mal. Ce premier tome nous y plonge directement et la suite promet d’être tout aussi rude même si je ne doute pas que ce sera aussi un très beau voyage vers la rédemption.

Tome 2

Kaori Ozaki est décidément très douée pour évoquer la fougue d’une jeunesse en perdition mais à la recherche d’une solution et ça continue à faire mouche !

Avec une narration très simple mais terriblement efficace, la mangaka déploie son histoire de façon assez classique dans ce deuxième tome sur les trois que comptera la série. Elle se concentre d’un côté sur la nouvelle vie que se bâtissent Tsugu et Sora qui sont montés à Tokyo, et nous laisse également entrevoir ce qu’il advient de leurs amis restés dans leur petite ville de campagne. Cependant, si c’est très agréable à suivre, le propos est un brin flou…

J’ai à nouveau beaucoup aimé l’ambiance. J’ai trouvé le duo Tsugu-Sora tout mignon avec le papi chez qui ils emménagent et pour qui ils vont faire des croquettes afin de faire marcher son restaurant. C’était adorable et cela m’a donné bien faim ! Cependant si Sora s’épanouit parce qu’il se rend enfin utile, je ne vois aucune évolution en ce qui concerne Tsugu, soyons honnête. Celle-ci reste vraiment une sorte d’électron libre que j’ai du mal à cerner. Quant à sa relation avec Sora, je n’aime pas trop les idées que se fait ce dernier, je préfèrerais que cela reste 100% platonique car je ne verrais pas trop l’intérêt d’ajouter de la romance ici…

C’est en revanche bien plus intéressant chez ceux qu’on voit le moins : Yûshin et Asari. Le premier est en complète déroute et c’est superbement raconter. On sent parfaitement à quel point il est à fleur de peau parce qu’il a zéro estime de lui-même. Il veut prouver à tous qu’il est ou va devenir quelqu’un mais il se voit surtout comme un détritus, c’est triste. Cette colère qui l’habite est étouffante également. J’aimerais bien savoir d’où elle vient. Du coup, son envie de partir à tout prix pour se lancer dans sa passion, la boxe, m’a plu, même si j’ai un peu l’impression que le sport est avant tout un moyen pour fuir autre chose. Ses relations avec ses amis sont centrales ici, aussi bien avec Asari qu’il blesse, ce qui permet de dénoncer certaines violences faites aux femmes, que Sora dont il est tellement jaloux mais qui se rebiffe enfin. Pour moi, c’est clairement Yûshin qui fait l’intérêt de ce tome !

Même si elle va un peu vite et survole son sujet, Kaori Ozaki est une autrice qui continue à me toucher dans sa description du malaise adolescent. Ici, je trouve original que le point d’orgue de sa série ne soient pas le duo principal mais un personnage un peu plus en marge. J’ai hâte de voir ce que nous réserve la conclusion, des changements ayant déjà commencé à s’opérer.

Tome 3

Je termine cette série de manière un peu dubitative. Beaucoup de bonnes intentions, une jolie morale, mais un sentiment de trop peu, trop vite, qui me laisse sur la fin par rapport aux autres titres de l’autrice que j’ai lus. En revanche, j’ai été très émue par le oneshot final qui n’a rien à voir…

Kaori Oazki a voulu nous conter l’histoire compliquée de 4 amis qui s’étaient perdus et dont les relations s’étaient distendues. Elle le fait avec un certain brio mais également avec pas mal de clichés qui rendent son histoire un peu surfaite au lieu d’être touchante et réaliste.

Sora et Tsugu ont été rejoint à Tokyo par Yushin. Celui-ci peine à trouver sa place, tout comme les deux autres. Tsugu aimerait bien les réconcilier mais c’est plus compliqué que ça après ce qu’il s’est passé entre eux, surtout qu’ils sont aussi têtus l’un que l’autre. Du coup, on a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose en dehors de la belle aide reçue par le grand-père de Tsugu, la rencontre avec ce petit chat trop mignon, et deux-trois conversations anodines au premier abord. Mais en fait, tout passe par le langage non-verbal des personnages qui traduit énormément de choses, et au final sans qu’on sache trop comment les deux garçons se réconcilient.

Sur le principe j’ai bien aimé, j’ai trouvé ça émouvant et la mise en scène de l’autrice est vraiment belle. Mais une fois que j’y ai eu réfléchi, j’ai quand même eu le sentiment d’un grand vide et j’ai trouvé tout ça bien surfait… Et malheureusement, l’autrice a répété cela juste après avec Tsugu et Asari…

Asari est victime de ses propres manigances qui se retournent contre elle. La voilà à son tour la cible des brimades de ses camarades. Si c’est vraiment triste d’assister à ça, de voir une famille qui ne se rend compte de rien et des camarades qui vont très loin, il est bon aussi de se rappeler qu’Asari avait fait la même chose à son « amie » Tsugu… Dès lors, j’ai trouvé quand même compliqué d’éprouver de l’empathie pour elle malgré les efforts de l’autrice dans ce sens. Oui, la jalousie c’est terrible, mais est-ce que ça justifie tout ? Non. Est-ce qu’on peut tout pardonner ? On ne devrait pas.

Du coup, malgré une jolie mise en scène, je n’ai pas totalement adhéré à ce final très fleur bleu où tout le monde se pardonne tout sous couvert de l’amitié. Désolée mais quand on a été brimé, frappé, humilié par quelqu’un, je ne trouve pas ça normal, sain, de lui pardonner. Ce n’est pas le bon message à envoyer, c’est pardonner les harceleurs sans qu’ils aient vraiment eu à se repentir. Ce n’est pas ma philosophie.

Alors le titre reste mignon. Les personnages sont attachants dans l’ensemble. Ils forment un joli groupe qui va de l’avant dans la vie à la fin, mais ça ne m’a pas convaincue totalement. En plus, le dernier chapitre a un rythme très rapide, trop rapide, qui donne le sentiment que l’autrice précipite tout alors qu’elle avait plutôt pris son temps avant. Ça casse le rythme instauré depuis le début, ce n’est pas cohérent. Clairement Golden Sheep est pour moi l’oeuvre la plus faible de l’autrice…

En revanche, l’histoire qui l’accompagne à la fin de ce volume est sublime ! Elle n’a rien à voir avec le manga lu jusqu’à présent mais elle m’a beaucoup touchée. Elle raconte sur un ton fantastique le parcours d’une jeune âme qui a choisi de s’incarner dans le corps du futur bébé d’une jeune fille de 17 ans. Ils vont tout deux avoir un parcours chaotique et terrible, mais cette âme ne va jamais perdre de vue son amour pour cette jeune fille qui a été tant malmenée par la vie. Là où le pardon de Tsugu et Sora m’a dérangé plus haut, celui de cette petite âme me semble tout à fait bienvenu. D’abord, il l’explique lui-même, il reste un enfant donc il ne voit les choses qu’avec candeur. Ensuite, le parcours de cette jeune fille explique terriblement et dramatiquement bien son acte. C’est donc vraiment poignant et douloureux, mais également doux et émouvant de suivre leur histoire et l’autrice maîtrise à merveille le format très court de l’histoire. Ce fut un coup de coeur !

Ma note : 14 / 20

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© 2018 Kaori Ozaki / © 2020 Groupe Delcourt

13 commentaires sur “Golden Sheep de Kaori Ozaki

  1. Si la couverture m’aurait interpellée dans les rayons d’une librairie, le titre m’aurait laissée dubitative, mais après lecture de ton avis, on le comprend bien mieux…
    Les thématiques abordées semblent intéressantes, mais c’est la subtilité avec laquelle elles sont amenées qui m’intrigue le plus…
    Merci pour ton avis 🙂

    Aimé par 2 personnes

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