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Kowloon Generic Romance de Jun Mayuzuki

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Titre : Kowloon Generic Romance

Auteur : Jun Mayuzuki

Éditeur vf : Kana (Big)

Années de parution vf : Depuis 2021

Nombre de tomes vf  : 9 (en cours)

Résumé : La citadelle de Kowloon… Un labyrinthe de ruelles et de boui-bouis… Reiko Kujiraï et Hajime Kudo sont deux agents immobiliers dans la trentaine qui sillonnent cet enchevêtrement de béton.
Entre eux semble se dessiner le début d’une romance… Mais est-ce vraiment le début ? Comment se fait-il que, sur la photo trouvée par Reiko, Hajime et elle semblent bien plus proches qu’ils ne le sont actuellement ?
Et la citadelle de Kowloon, est-elle vouée à disparaître face aux bâtiments futuristes en construction au-dessus de leur tête : Generic Terra ?

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Mes avis :

Tome 1

Découvert avec le poétique Après la pluie, Jun Mayuzuki m’avait éblouie par ses compositions graphiques, ses ambiances mélancoliques et son développement de la psyché des personnages. Je suis donc ravie que Kana continue de nous faire découvrir son travail avec son dernier titre en date : Kowloon Generic Romance.

Débuté en 2019 dans les pages du Young Jump de Shueisha, ce seinen compte à ce jour 4 tomes au Japon. Il va donc falloir s’armer de patience pour lire la suite. Kana a cependant fait plaisir à ses lecteurs en le sortant aussi rapidement. Le seul défaut de l’édition française est donc, selon moi, l’adaptation des couvertures avec cet ajout d’une barre d’immeubles de nuit, qui passe pour le premier tome mais fait ridicule dès le deuxième. J’aurais préféré qu’on garde les images simples d’origine…

Revenons-en à Kowloon. C’est une oeuvre très marquée par le cinéma asiatique. On y sent vraiment l’influence des films d’auteurs qu’on a pu voir, comme In the Mood for Love, référence évidente ici. Le ton est donc lent, tranquille, limite contemplatif, en plus d’avoir des cadrages géniaux, et on se demande au début de quoi il va bien pouvoir être question.

Nous suivons en effet la petite vie tranquille et bien rodée de Kujirai, une employée dans une agence immobilière hongkongaise, qui habite dans une vieille barre d’immeubles qui a l’air un peu délabrée. Elle aime fumer et manger de la pastèque. Elle aime être à l’heure et ne supporte pas son collègue plus dilettante, Kudô. Cependant, tandis qu’elle se rend compte que sa vue a changé, elle remarque aussi des petites choses chez lui qui lui plaisent même si elle refuse de l’admettre. 

Au début, j’avais le sentiment d’être à nouveau dans un titre romantique comme sait si bien en écrire Jun Mayuzuki, un titre romantique lent et entêtant où les sentiments avancent tout doucement à mots couverts, le temps d’un échange de regard, d’un effleurement, d’une petite attention. C’était ultra poétique, sentiment en plus renforcé par la mise en scène magnifique de l’autrice qui a une science du découpage incroyable. Certaines pages sont magiques lorsque se croisent pensées et dessins de l’auteur, comme lorsque Kujirai secoue la veste de Kudô, qui s’envole et vient l’enlacer, symbolisant son désir de mettre fin à sa solitude. Renversant !

Le tempo était assez lent et insidieux, les deux personnages n’étant pas des plus dégourdis et étant attachés à leur train train. Kudô est un dilettante qui ne semble pas très sérieux. Il a un peu une image de gentil looser avec le coeur sur la main. Kujirai, elle, est plus sérieuse, elle réfléchit, calcule avant d’agir, et en même temps, elle a un côté enfantin adorable. Elle aime tous les petits gadgets et plats à la mode chez les jeunes. Tous deux se tournent autour sans jamais rien oser s’avouer franchement. Ils sont tellement différents. Cependant, ils prennent soin l’un de l’autre, ils aiment déjeuner ensemble aussi ou faire faire des découvertes à l’autre. C’est mignon et touchant.

Tout cela se déroule dans un cadre un peu hors du temps, un Hong Kong à l’ancienne, un Hong Kong de carte postale, mais pas le Hong Kong touristique, le Hong Kong traditionnel, vétuste et un peu miséreux. On découvre à travers leurs yeux, et en particulier ceux de Kudô, qui y semble le plus attaché, la beauté de cet univers caché au détour d’une ruelle, d’une place que personne ne connait, d’un petit bouiboui, etc. C’est très nostalgique.

Mais, mais, mais… Il y a tout de même une pointe de mystère dans tout ça. On sent qu’il y a quelque chose d’étrange qui rode au-dessus du quotidien de nos héros. Cette chose étrange est matérialisée par un octaèdre (losange en 3D) qui flotte au-dessus d’eux sur lequel l’auteur se focalise à des moments clés. Il semble appartenir à cette organisation : Generic Terra, qui veut construire des bâtiments futuristes au-dessus de leur tête, quitte à faire disparaître ce qui existe pour l’instant. Ce mystère pèse effectivement sur leur avenir mais pas seulement. C’est pour ça que l’auteur parle avec beaucoup d’insistance du passé et de la nostalgie, ce qui crée une ambiance très particulière dans ce premier tome jusqu’à la révélation finale qui vient bouleverser bien de choses et offre une nouvelle perspective.

SPOILERS : On découvre dans les ultimes pages un petit peu ce que ça cache. Kujirai semble avoir été fiancée avec Kudô et avoir tout oublié. On ne sait pas encore comment ni pourquoi. Ce qui explique tous ces petits flottements ressentis entre eux depuis le début : sur le toit, au bar, au bureau, etc. J’avais déjà un peu la puce à l’oreille mais ça m’a quand même bien assise et je suis maintenant très très curieuse d’en apprendre plus forcément. Ça remet aussi en jeu ma façon d’appréhender Kudô dont le côté looser pouvait avoir tendance à m’agacer malgré la générosité que je percevais derrière. Bref, ça relance tout et c’est un sacré coup de maître !

Kowloon Generic Romance est un titre assez atypique dont la construction est très ingénieuse. Il m’a rappelé un petit peu les titres Kanon (chez Akata) et Dead Dead Demon’s… (chez Kana) mais avec une tonalité romantique et mélancolique encore plus poussée. C’est donc un retour gagnant pour Jun Mayuzuki qui une fois de plus me subjugue par ses compositions graphiques et ses ambiances. J’ai adoré la lente construction de ce récit et son mystère dans un Hong Kong vieillissant en proie aux attaques de la modernité. Intriguant et fascinant !

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! Avertissement ! Il y a tout de même un « male gaze » (regard masculin) assez dérangeant. L’autrice exagère la sensualité et les postures de son héroïne au point de mettre mal à l’aise comme lors de la scène où elle repeint un appartement où on se croirait presque dans un porno. Je veux bien que ce soit publié dans un magazine à destination des jeunes hommes, mais quand même…

> N’hésitez pas à aussi aller lire les avis de : L’apprenti Otaku, Les voyages de Ly, Lire en bulle, Vous ?

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Tome 2

Après ce joli coup de coeur lors du tome 1, j’attendais un peu la suite au tournant surtout après la révélation tombée dans les dernières pages, mais force m’est d’avouer que j’ai également adoré cette suite et qu’elle a su tenir toutes ses promesses.

Tout d’abord, j’ai aimé retrouver l’ambiance si particulière de Kowloon dans ses ruelles chinoises tellement dépaysantes mais également un brin inquiétantes avec ce polyèdre qui continue à flotter au-dessus des têtes de nos héros sans qu’on en connaisse le but. Le premier chapitre nous fait plonger dans les souvenirs de Kudô et c’est fascinant de l’accompagner au coeur de cette ville avec l’ancienne Reiko. Cela prend une toute autre teinte.

Il faut savoir que le revirement des ultimes pages du tome 1 est particulièrement bien traité ici. A la fois, l’autrice ne fonce pas tête baissée dedans et elle ne l’évite pas non plus, non c’est plus subtile. L’héroïne se rend compte que quelque chose cloche, qu’elle semble avoir oublier des éléments potentiellement importants de sa vie et à sa façon, elle mène l’enquête avec beaucoup de discrétion. J’ai aimé cette tonalité étrange qui la pousse à garder ça pour elle, et pour la nouvelle amie qu’elle se fait, mais qui l’empêche d’aller voir directement Kudô. On reste ainsi sur une relation pleine de sous-entendus et de non-dits et j’avoue que j’aime assez la teinte que ça donne à l’histoire.

Le titre alterne ainsi entre tranche de vie dans ce vieux quartier et romance ultra subtile et lointaine, mais influant quand même sur les actions de Reiko. L’ajout d’une amie pour celle-ci dynamise ses aventures, elles forment un nouveau duo. Tandis que Kudô se fait plus lointain physiquement, même si très présent dans son esprit. Enfin, l’étrange Professeur Hébinuma qui va ouvrir une clinique et chez qui elle va aller à cause d’une remarque de Kudô sur ses rides, va venir perturber un peu tout ce train train ce qui n’est pas plus mal.

Du coup, avec toutes ces nouvelles subtilités, j’ai eu le sentiment que le dessin le devenait également. Il y a moins de fulgurances graphiques que dans le tome 1 dans les compositions. Mais il y a également moins de « male gaze » à mon sens et ça fait du bien, on se sent moins gêné.

Ce tome 2 réussit donc à confirmer mon coup de coeur mais également à gérer la surprise introduite dans les dernières pages du précédent avec une histoire qui devient encore plus subtile et mystérieuse. L’un des meilleurs titres de la collection Life avec And et Chacun ses goûts.

Tome 3

Je crois qu’à chaque tome, ça va être un coup de coeur tant j’aime le ton et l’univers de Jun Mayuzuki. Certes cela reste nébuleux, certes il y a un petit côté fan service, certes c’est très tranche de vie et la SF est très légère, mais bon sang ça dégage vraiment quelque chose de limite crépusculaire et j’adore !

A côté d’Après la pluie, son précédent titre, celui-ci a quelque chose d’insaisissable. A l’image de ses personnages qui cachent tellement de choses, l’autrice cache aussi beaucoup d’éléments de son univers, le rendant fort mystérieux. Avec ce polyèdre qui flotte partout et semble les espionner comme la peluche mignonne mais glauque de Narutaru, on n’arrive jamais à se débarrasser de nos inquiétudes et le fait de ne saisir que de minces bribes pour faire avancer le schmilblick y contribue. Il faut donc accepter de se laisser bercer pour cette sorte de nonchalance immobile et brumeuse.

D’ailleurs, je me suis moi-même fait prendre au piège dans le premier chapitre de ce tome, ne réalisant sa temporalité et les personnages mis en scène que par la suite. Chapeau l’artiste ! J’ai ainsi été encore plus frappée et bouleversée par les propos de ce tome sur la nostalgie et l’identité. Je suis fascinée par la relation Kudo-Kujirai avec le jeu de faux dupes qu’ils entretiennent puisque Kudo sait que Kujirai sait qu’elle n’est pas la Kujirai qu’il a connue. Ouf. Cela donne une étrange valse à trois avec un fantôme bien présent pourtant et la question de la perméabilité des sentiments entre elles est poignante. J’adore la force tranquille dont l’autrice fait preuve pour mettre en scène la détresse de Kudo face à cette situation à laquelle il le peut rien. J’adore la sensibilité dont elle fait preuve pour écrire le personne de Kujirai qui n’a rien de simple à vivre une vie qui n’est pas la sienne et des sentiments qui sont peut-être emprunté mais peut-être pas. Mon dieu quel maelstrom !

Mais c’est justement ce qui fait la force du titre et la puissance des émotions ressenties. Le tout est très étrange. On a mille questions, les héros aussi, et ils pataugent comme nous, ils se questionnent comme nous et ont des pensées philosophiques sur la situation comme nous. La finesse du trait et de la mise en scène de chaque planche renforce ce sentiment. L’autrice est vraiment un génie pour incarner en image le trouble de ses personnages que ce soit à l’aide de la métaphore du tournesol ou avec le fantôme récurrent de l’ancienne Kujirai. Le poids des noms dits est incroyable ici et me saisit chaque fois à la gorge.

Pourtant, l’arrivée du personnage trouble qu’est Hebinuma semble décoincer certaines choses. On semble comprendre à demi-mots grâce à lui et son acolytes que peut-être les habitants de Kowloon ne vivent pas dans la même réalité que nous. Mais dans ce cas-là où sont-ils ? que sont-ils ? comment peut-on passer de l’un à l’autre ? pourquoi ne s’en échappent-ils pas ? où sont passés les autres ? Que de questions encore qui se posent et on ne peut pas dire qu’Hebinuma respire l’honnêteté. Alors peut-on seulement lui faire confiance ? L’autrice a écrit un personnage superbement trouble avec lui, jusque dans la fluidité de son être, avec ce serpent qui le recouvre, sa langue coupée et ses amours homosexuelles avec le sosie de Guen. Il m’interpelle vraiment, me met mal à l’aise mais me fascine aussi et j’ai envie de croire que c’est par lui que l’histoire et les mystères de Kowloon bougeront et se révéleront.

Kowloon n’en finit donc pas de m’émouvoir, par les cris des coeurs malheureux et incertains de ses héros, et de m’intriguer par les mystères de son univers étranges, hors du temps, mais qui semble sous surveillance constante. L’autrice pose très très lentement ses pions. Je croise les doigts pour qu’ils donnent la fresque humaine et originale que je pense deviner.

Tome 4

Il faut quand même être sacrément culotté pour nous proposer une histoire comme celle qu’on découvre dans Kowloon où au bout de 4 tomes les mystères sont toujours aussi nombreux voir plus.

Jun Mazyuzuki n’en finit pas de me surprendre avec sa narration où elle nous plonge les deux pieds devant dans une histoire comme si nous la prenions sans explication en cours de route. C’est perturbant et exquis à la fois. On se sent complètement désorienté et on prend énormément de plaisir à essayer d’assembler les pièces du puzzle.

Dans ce tome riche en révélations, nous apprenons que le Kowloon actuel n’est qu’une énième copie de l’originale et que peut-être l’ensemble de ses habitants même ne sont que des copies, des clones des originaux, mais zéro explication sur ce qui a pu se passer. Quand je vous dis que c’est déstabilisant. Moi, j’adore cette ambiance étrange et mystérieuse entretenue par des personnages ambigus comme Guen et Miyuki. Mais j’aime peut-être encore plus la sensibilité que ça donne au titre.

Car tout est à fleur de peau ici. Kujirai navigue à vue avec ce qu’elle apprend sur la Reiko B qu’elle remplace et c’est poignant. Kudô, lui, n’a pas un rôle facile non plus d’être face à la femme qu’il a aimé mais qui n’est plus elle. Les questionnements sur l’identité, le rôle de la mémoire, des souvenirs, des choses vécues par nos corps dans ce qui nous constitue face aux réactions innées de celui-ci qui peut en partie constituer notre caractère, a quelque chose de vertigineux et j’adore l’analyse sensible et subtile qui en est faite. Mille questions se posent sur qui sont vraiment chacun des protagonistes et l’univers dans lequel ils vivent.

En plus, cette intrigue est desservie encore et toujours par une superbe narration graphique toujours en finesse, ou presque puisqu’une scène m’a quand même mise mal à l’aise face à la vision trop sexualisée de la femme qu’elle propose, une fois de plus, surtout à un moment un peu anodin. Bref. En dehors de ça, les échos des souvenirs des héros qui se répondent avec leurs actions présentes est magnifique avec cette omniprésence des fantômes de leur passé. C’est d’une poésie et d’un romantisme. Je suis vraiment fan des compositions de l’autrice.

Kowloon est donc encore et toujours l’une de mes plus belles lectures du moment, une lecture qui me remue le cerveau grâce à son univers de SF rétro chic très subtil et vertigineux dans ce qu’il interroge sur l’identité des être et des lieux. Ajoutez à cela des dessins mélancoliques qui touchent en plein coeur et votre comprendrez pourquoi ce fut à nouveau une lecture marquante pour moi.

Tome 5

Avec son ambiance singulière et littéralement hors du temps, Kowloon n’en finit pas de me séduire malgré ses faibles avancées et ses nombreux mystères. La narration et les thèmes de Jun Mayuzuki me touchent en plein coeur et que je me sens, comme ses héros, captive de ce quartier et ses habitants.

Alternant entre l’intérieur et l’extérieur de Kowloon, ce tome se veut peut-être encore plus mystérieux que les autres car l’autrice nous avait habitués à quelques avancées précédemment et qu’on a le sentiment de faire du sur place ici voire de voir de nouvelles questions nous tomber dessus, sans la moindre réponse supplémentaire. Est-ce que cela dérange ? Pas du tout, car il y a à la place, encore et toujours, un superbe travail sur les personnages et une très belle mélancolie fort émouvante.

J’ai adoré voir le couple de héros un peu de côté dans ce tome, même si toujours bien présent, pour à la place mettre en avant deux personnages plus secondaires : Yômei et le Dr Hebinuma. On n’oublie pas Reiko et Kudo, leur histoire est toujours là, déchirante avec ces belles thématiques sur les petites manies qu’on repère chez l’autre, l’attention qu’on lui porte, les passions qu’on se transmet, etc. On sent qu’ils sont chacun à fleur de peau, à fleur de souvenirs aussi. L’une voulant tout découvrir. L’autre ne sachant s’il veut oublier ou pas. C’est déchirant et un équilibre précaire semble se trouver.

Mais c’est clairement vers Yômei et le Dr Hebinuma qu’on se dirige un peu plus ici. Yômei, c’est l’amie couturière de Reiko, qui est tout le temps avec elle en ce moment. Celle-ci lui cache un passé qui a tendance à la rattraper et la bouffer, un passé qui étrangement fait un peu écho avec la situation entre les Reiko A et B et qui lui permet donc d’apporter son aide via son expérience. La révélation de ce passé est soudain et surprenant mais assez classique dans le fond avec ce thème de l’enfant ne voulant pas être une copie du parent. On retrouve d’ailleurs cela chez Hebinuma également mais de manière peut-être encore plus torturée et explosive. J’ai tout de même été ravie de voir un peu plus celui-ci dans l’intimité, de découvrir que ce n’est pas qu’un psychopathe, la preuve, il arrive à se faire aimer de Guen, ce qui offre de très belles pages au passage.

Le point commun entre eux, c’est que leurs troubles révèlent des failles dans Kowloon et pose des interrogations. Pourquoi Yômei s’est tout à coup vu comme elle était autrefois ? Pourquoi Hebinuma semble au coeur d’un plan qui touche à l’identité et l’âme même des gens ? Pourquoi Guen se retrouve-t-il à pénétrer dans un monde que les autres ne perçoivent pas comme lui ? Qu’est-il vraiment arrivé à Kowloon et ses habitants ?

J’ai l’impression de plus en plus au fil des tomes de vivre une expérience de maïeutique avec ces mystères autour de Kowloon et ses habitants. C’est à la fois fascinant et sensible, touchant quelque chose en moi avec ces volutes de fumées omniprésentes qui volent jusqu’à mon coeur. Il ne se passe concrètement pas grand-chose dans ce tome et pourtant l’immersion est totalement et l’émotion aussi. Quelle réussite !

Tome 6

Quel puzzle toujours aussi fascinant et complexe ! Les pièces sont de plus en plus nombreuses à se révéler mais toujours terriblement difficiles à emboîter les unes avec les autres. Le mystère est donc à la fois plus fin et plus épais paradoxalement. Personnellement, j’adore me laisser porter par cette ambiance !

Retourner à Kowloon est à chaque fois une véritable expérience. Jun Mayuzuki a vraiment superbement travaillé son univers, ses personnages et son atmosphère. Au fil des tomes, il a ajouté une jolie galerie de personnages autour des deux principaux que sont : Reiko et Kudo, ce qui enrichit vraiment l’histoire. Ainsi dans ce nouveau tome les lignes de tout ce petit monde s’entremêlent dans un puzzle riche et complexe où émotions et souvenirs viennent nous bouleverser et nous perdre.

La façon dont Miyuki et Guen viennent s’ajouter à l’histoire apporte ainsi une belle profondeur à celle-ci grâce aux révélations sur les clones, les doubles, l’ancienne et la nouvelle Kowloon qu’ils apportent. L’ensemble reste assez nébuleux mais le mystère ajoute une petite touche en plus à l’histoire. On se passionne à chercher des indices pour comprendre, à essayer de savoir où on est et avec qui, ce qu’il est advenu des anciens, etc. Le fait que le mangaka s’amuse en plus à mélanger les temporalités avec régulièrement des petits épisodes du passé contribue à ce joli flou artistique. J’aime beaucoup.

L’ambiance mélancolique du titre est superbe. Kudo est toujours la clé de voûte de tout ceci malgré la position légèrement en retrait que lui offre l’auteur par rapport à Reiko. Ses sentiments passés et présents font toute l’histoire et il m’émeut toujours autant quand je le vois penser à l’une des deux Reiko. Il y a peut-être moins de case frappantes et fascinantes qu’au début, mais c’est toute l’ambiance désormais qui crée à la fois le malaise et l’émotion, comme par exemple quand il souhaite empêcher Reiko de partir. Le travail de l’auteur sur les regards avec ces billes hypnotiques est fascinant par exemple.

Ainsi, Reiko semble plus être un personnage de passage dans ce tome, un sorte d’électron venant lier tout le monde, tous ces personnages aux destinées étranges et remplies de secret. J’ai adoré découvrir la particularité de Miyuki (il ne me semble pas que cela ait été abordé avant), même si ça pousse l’auteur à certains choix graphiques douteux parfois. C’est quoi ces pectoraux bizarres ?! Guen me passionne avec sa dynamique d’enquêteur, j’ai l’impression que c’est lui qui mine de rien vient faire bouger chacun d’entre eux et donc l’histoire. Et que dire de Yômei, ce feu follet, qui en grande amie de Reiko est toujours là mais est un mystère par sa présence ici, qui normalement ne devrait pas être possible. Ils semblent tous l’air de rien se regrouper autour de Reiko qui les attire juste par son existence, tel un trou noir. C’est fascinant.

Jun Mayuzuki a donc écrit un univers de SF très subtil, plein de poésie et de mélancolie, où la force des sentiments peut créer bien des perturbations. Ses personnages sont étranges et émouvants à la fois avec un pouvoir d’attraction rare. Mais surtout la ville de Kowloon est le grand mystère de l’oeuvre et ne se dévoile vraiment qu’avec une grande parcimonie. Il faut donc être un lecteur patient et ne pas vouloir chercher à percer le mystère de suite. Le voyage en vaut la peine, j’en suis sûre. En tout cas, moi, pour le moment il m’émeut toujours énormément car telle les volutes de fumée qui la parsème je me laisse nonchalamment porter par le vent qui l’agite et cela me berce à merveille.

Tome 7

Entre minces révélations et mystère toujours aussi profond, Kowloon Generic Romance n’est fini pas de m’émerveiller dans cette atmosphère hors du temps pleine de mélancolie dont Jun Mayuzuki nous entoure. Définitivement une série coup de coeur.

Alors que sa narration est toute tranquille et presque apathique, la série n’est finie pas de me surprendre à chaque volume. Avec une Reiko B qui s’interroge sur son identité et un Guen associé à un Miyuki en pleine enquête et quête de vengeance, l’autrice creuse et creuse encore son intrigue avec de belles saveurs. C’est âpre, c’est mystérieux, c’est mélancolique. J’aime énormément.

Je trouve incroyable la façon dont l’autrice se permet de faire de non-révélation des événements extrêmement forts dans l’oeuvre. C’est le cas ici avec l’aveu de Miyuki que Reiko B est un être générique, sans expliciter du tout ce que ça veut dire, mais la réponse de celle-ci qui cherche alors à s’émanciper et vivre sa propre vie pour être la version ultime d’elle-même est superbe. Quelle force !

On se prend alors au jeu de la suivre dans son évolution, son envie d’émancipation, son premier pas en avant, puis son pas en arrière, ses doutes, ses fragilités, ses forces aussi. C’est un superbe personnage. Mais peut-être ne le serait-elle pas autant sans les personnages autour d’elle, car c’est en regard de ceux-ci ou plutôt à travers leurs regards aussi qu’on la voit. Ainsi Kudo me transperce le coeur avec ce choix qu’il a fait de rester là, en sachant la vérité sur ce lieu, juste pour rester près d’elle. C’est une tragédie poignante, dont l’autrice commence cependant à nous livrer les secrets comme avec cet indice sur la disparition de la première Reiko. Cela donne encore plus hâte d’avoir les autres tomes entre les mains.

Cependant ce n’est pas une fébrile urgence qui nous saisit mais plutôt une sorte d’apathie due à l’inéluctabilité de tout ce qui se produit. En faisant de Kowloon un personnage à part entière de plus en plus dans l’histoire, l’autrice change aussi un peu ma vision de cette histoire. Je me concentre sur les transformations de ce lieu et les implications sur ces habitants, les dernières révélations de Guen accentuant cela. C’est vraiment une très belle écriture du fantastique par Jun Mayuzuki qui résonne en moi à travers ces thèmes de la destruction d’un passé gênant, du déplacement de population, de la pauvreté dérangeante et j’en passe.

Je m’interroge juste maintenant sur ce que Miyuki et sa famille viennent faire là car l’autrice commence à délivrer de plus en plus de pièces de ce vaste puzzle mais sans pour autant en livrer la notice. Ainsi, il est question de l’hermaphrodisme de Miyuki et du rejet qu’il a subi dans sa famille, lors de deux moments poignants, mais il semble aussi dévoré d’une envie de se venger. De quoi, de qui, pourquoi ? Des questions auxquelles on n’a encore que peu de réponses et surtout dont on ne voit pas forcément le lien avec ce que l’on vit à côté, à part peut-être un lien entre la disparition de la première Reiko et les activités pharmaceutiques de sa famille. Affaire à suivre.

Avec un mystère donc toujours épais malgré les quelques réponses apportées, Jun Mayuzuki nous ballade toujours autant dans ce récit pour moi à mi-chemin de la SF et du fantastique où je me plais moi aussi à me perdre dans les ruelles de l’histoire comme je le ferais dans celles de Kowloon. Gros moments d’émotions lors des prises de conscience de Reiko dans ce tome mais aussi lors des mises en avant de Guen et Miyuki dont j’adore le couple. C’est une série coup de coeur du premier au dernier tome pour le moment !

Tome 8

C’est vraiment pour ce type de lecture étrange et saisissante que j’aime les auteurs de mangas. Ils savent nous emmener là où on ne les attend pas et renforcer cela à l’aide de planche juste magique. En tout cas, c’est le cas de Jun Mayuzuki sur Kowloon.

Alors que la série s’allonge et gagner en complexité, l’autrice nous confie enfin quelques uns de ses secrets. Et mon dieu, que ça donne le vertige. J’en ai la tête qui tourne au milieu de toutes ces théories élargissant l’univers et en même temps touchant à ce qu’il a de plus intime. C’est vertigineux.

J’ai adoré suivre les aventure de Yomei en dehors de Kowloon. C’est conté avec une belle saveur rétro à la limite de la comédie ou plutôt de la parodie du film d’espionnage et en même temps on apprend réellement des choses grâce à elle, même si c’est à ses dépends. Les révélations sur Kowloon sont tordues à l’image de la série et cela a une saveur toute particulière. L’autrice semble y mélange science-fiction, critique de l’économie de notre société et histoire très intime. J’apprécie chaque volet.

C’est en effet séduisant de découvrir une société richissime capable d’un tel exploit et le faisant en lien avec un peuple extraterrestre qui semble omniprésent dans la série. Cela l’est d’autant plus que tel un Big Brother, ils semblent partout sans qu’on s’en rende compte. Il y a des espions à tous les coins de rue et on découvre une Kowloon sous cloche, surveillée et étalonnée de tous les côtés, ce qui fait peser la suspicion et soulève bien des questions.

On nous dévoile quelques secrets sur ses origines et son fonctionnement, ce qui a le don de titiller la curiosité de tous, surtout avec les espions que lâche l’autrice et les développements autour des personnages qu’on connaît bien. Car la force de Kowloon, ce sont ces derniers et les relations qu’il y a entre eux. Si c’est compliqué pour Guen et Miyuki, qui file comme une anguille dans ce tome. Si on a un étrange début de romance pour Yomei. C’est définitivement ce qui se joue entre Reiko et Kudo qui continue de happer le lecteur. Il faut dire qu’il s’en joue des choses en coulisses quand on a le regard ailleurs !

Et la science de la mise en scène de l’autrice est encore terriblement efficace, que ce soit avec les avancées – non-avancées du couple, ou avec surtout ce passé qui hante Kudo et semble vouloir commencer à parasiter Reiko. Le premier chapitre est un modèle du genre sur l’utilisation d’un quotidien banal pour en dire tellement long, de manière si puissante. Et cela s’enchaîne par la suite où la mise en image des non-dits par la mangaka est merveilleuse. Il y a une puissance évocatrice dans les décors, les objets, rarement égalé quand on voit ce qu’elle arrive à faire dire à un tabouret ou une recette de pain perdu.

Comme à chaque tome, c’est donc une réussite flagrante, une série construite intelligemment, puissamment et avec une émotion qui nous gagne pour ne plus nous lâcher. Tome de révélations sur Kowloon, mais de complexification des relations entre les personnages. Le passé est toujours là pour hanter le présent, mais un présent imaginé dans quel but ? On a hâte de le découvrir et on espère que nos héros n’en souffriront pas trop. On les aime ces petits.

Tome 9

Un nouveau tome de Kowloon, c’est toujours un petit événement, même si ici, c’est peut-être un peu plus simple, un peu moins puissant que d’habitude.

J’ai en effet pris l’habitude à chaque tome d’avoir ma petite claque scénaristique ou graphique et ce ne fut pas le cas ici, même si ne mentons pas ça reste vraiment excellent. Cette espèce d’uchronie futuriste est juste fascinante et Jun Mayuzuki apporte encore sa pierre à l’édifice dans ce tome.

Ayant commencé à nous dévoiler la nature de ce Kowloon, elle reste sur cette ligne et creuse le filon. Cette fois, c’est grâce à Reiko que nous avançons à nouveau, mais le procédé est quand même plus que gros et semble sortir de nulle part. En effet, en enfilant les lunettes de sa prédécesseuse, elle se met subitement à voir des extraits de ce qu’elle voyait elle aussi, ce qui la conduit sur les traces de mystérieuses étiquettes collées sur les murs où au recto il y a des codes erreurs informatiques. Hum hum.

J’ai à nouveau aimé suivre Reiko dans sa quête de vérité qui est une quête identitaire également dans son cas venant d’un besoin de se découvrir mais aussi de s’affirmer, notamment vis-à-vis de sa relation avec Kudo en laquelle elle a encore bien du mal à croire, ce qu’on comprend. Le procédé est un peu simple mais fonctionne. On est avec elle, à ses côtés à chercher à comprendre ce que tout ça signifie et à essayer de le relier avec ce qu’on sait déjà. D’ailleurs l’agrégation progressive des autres personnages autour d’elle et de sa découverte n’est pas anodin. L’autrice tisse vraiment sa toile mais elle est encore bien dans la brume.

Cependant, je reste convaincue que c’est fabuleux, parce qu’il se dégage toujours une riche émotion de cette histoire. Cette fois, la mangaka lie clairement le paysage, le lieu de Kowloon aux émotions à fleur de peau de ses personnages et laisse entendre que les deux sont liés. C’est totalement barré mais également éminemment poétique forcément. On ne peut rester ainsi insensible à la quête d’apaisement de Kudo dans cette nouvelle Reiko, ou encore à celle de Gwen qui tente ainsi de sauver Miyuki de sa terrible vengeance. Ils sont tous sur une espèce de corde raide tendue dans cet étrange Kowloon, qu’on pense saisir à chaque fois un peu plus avant qu’il nous échappe à nouveau.

Alors non pas de trouvailles graphiques magistrales cette fois, à part ce petit gimmick sympathique avec les lunettes de l’ancienne Reiko où on nous fait littéralement voir à travers leur forme comme si on était elle. Mais plutôt des retrouvailles émouvantes avec chaque personnage important croisé qui semble avancer vers la compréhension de ce lieu sans trop savoir qu’en faire comme nous. C’est étrangement beau et poétique, mais peut-être un peu trop léger et tiré par les cheveux dans ce tome.

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©Jun Mayuzuki 2019

coup de coeur

11 commentaires sur “Kowloon Generic Romance de Jun Mayuzuki

  1. Coucou !

    Merci beaucoup pour la mention tout d’abord. Ensuite, je suis ravi que le titre te plaise. On en avait déjà un peu parlé, mais on a ressenti je pense un peu les mêmes choses, notamment en terme d’ambiance et d’influences.

    Tu l’auras compris, le regard masculin ne m’a pas posé problème, mais je trouve important de le souligner car ça peut être le cas pour d’autres. Et tu le dis, mais je pense en effet que c’est aussi poussé parce que c’est un seinen. J’ai une hypothese selon laquelle la romance étant connotée comme quelque chose de féminin par essence (ce qui selon moi n’est pas le cas), quand on en fait pour un public masculin, on veut appuyer la dimension masculine pour éviter de s’aliéner le lectorat.
    C’est juste une hypothèse mais je pense que ça peut être plausible.

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    1. Avec plaisir 😉

      J’aime ton hypothèse. Elle a une certaine logique surtout dans un pays où on a pensé à segmenter la lecture comme ils l’ont fait au Japon.
      Après personnellement à part la fameuse scène de la peinture de l’appart, ça ne m’a pas gênée plus que ça j’avoue ^^!

      Par contre, maintenant j’attends beaucoup du titre, c’est une grosse pression sur l’autrice et j’espère qu’elle ne va pas glisser à un moment comme ce fut le cas pour le final d’Après la pluie alors que j’avais adoré tout le reste même si elle était également sur un fil ^^!

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  2. C’est vrai que le male gaze est très présent et côté lourd notamment dans la scène que tu cites où elle repeins l’appartement. Je trouve que le scénario et la composition graphique est plus aboutie que Après la pluie. Ça se voit mnt quelle est plus en maîtrise. À voir par la suite^^

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    1. Moi ça m’a moins gênée que je je craignais à part sur cette fameuse scène mais il vaut mieux prévenir.
      En revanche comme toi, je trouve que graphiquement ça se pose là encore, c’est assez bluffant de maîtrise. J’ai passé un temps fou à tout admirer 😍

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    1. Je me suis effectivement bien retrouvée dans ta chronique aussi et on est 100% d’accord sur la fameuse scène 😅
      Très curieuse en tout cas de la direction que prendra la suite notamment dans son utilisation du cadre choisi.

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