Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Opus de Satoshi Kon

Titre : Opus

Auteur : Satoshi Kon

Traduction : Aurélien Estager

Éditeur vf : IMHO

Année de parution vf : 2013

Nombre de tomes  : 2 (série terminée/inachevée)

Résumé : Chikara Nagai est un mangaka qui peine à terminer sa série, Résonance, qui met en scène l’affrontement entre Satoko, une policière dotée de pouvoirs psychiques, et Le Masque, le gourou d’une secte (qui veut anéantir l’individu au profit d’une conscience collective) (pas très clair…) La veille de la remise des planches à l’imprimeur, alors que Chikara est sur le point d’achever ses dernières pages sur un autre de ses héros, le jeune Rin, son projet prend un tour inattendu lorsqu’il se retrouve aspiré dans son propre manga. Rin a compris que Chikara voulait le tuer, lui et le Masque, et décide de déjouer son destin. Mais son intervention risque de bouleverser le cours des choses…

Mon avis :

Tome 1

J’ai toujours aimé les mangas de Satoshi Kon que j’ai lu, mais en général plus pour l’émotion qui s’en dégageait et l’ambiance ainsi créée. Ici, j’ai la surprise de découvrir un concept fou qui a fonctionné du tonnerre de dieu sur moi, celui de la création dans la création. Du pur génie !

Je savais que Satoshi Kon était un artiste brillant. Il l’a démontré aussi bien dans sa filmographie que dans sa bibliographie. J’ai adoré aussi bien le thriller Perfect Blue au cinéma, que l’entêtant et engagé Pacte de la Mer entre les pages de la belle édition de Pika. Mais rien ne m’avais préparé à l’expérience Opus, expérience au cours de laquelle il se livre à un vrai exercice de style un brin casse-gueule mais magistralement exécuté. Le monsieur a de la ressource et il sait exploiter son talent de metteur en scène.

Les mangas qui parlent de mangas, on commence à en avoir, mais des comme ça, non ! L’auteur m’a d’emblée déstabilisée avec des premières pages couleurs qui sont en fait le récit que le héros même de ce récit met en scène, celui-ci étant lui-même mangaka. On va suivre, dans un premier temps, le quotidien de Chikara Nagai qui est en passe de boucler SA grosse série, une série futuriste où un soir alors qu’il est en plein bouclage, il se retrouve littéralement emporté.

Ce qui est fantastique dans ce titre, c’est que rapidement tous les personnages sont conscients de qui il sont : auteur, personnage d’un mangaka, héroïne, héros sur le point de mourir, etc. Cela donne une histoire totalement folle et déjantée où Satoshi Kon brise sans cesse le 4e mur avec un héros presque clone de lui-même, mais peut-être pas tellement.

Il truffe son histoire d’énormément de références et clins d’oeil à d’autres artistes. Le nom de son héros rappelle celui de Go Nagai, auteur de Devilman, anti-héros rappelant le méchant de l’histoire présente par la forme de son visage / masque. Son héroïne est copiée sur celle qui suit partout le héros d’Akira. Le monde du manga qu’il a inventé est un hommage au cyberpunk et aux oeuvres de K.Dicka mais aussi à Gunnm ou V pour Vendetta. Et je suis sûre que j’en oublie. C’est jouissif de partir à la quête de la petite référence glissée.

J’ai adoré aussi bien le mélange des genres avec ce mangaka plongeant dans son histoire et vivant celle-ci, son héros étant bien décidé à ne pas mourir, et avec cet univers de SF sombre où le peuple est bien embêté par ce terroriste masqué qui peut manipuler les foules. On retrouve d’ailleurs l’appétence des auteurs et lecteurs des années 90 pour les pouvoirs para-psychiques. Satoshi Kon nous entraîne dans une course perpétuelle, parfait reflet de celle du mangaka en quête d’idées et devant rendre rapidement ses planches. Le titre est d’ailleurs une mise en abyme géniale sur ce métier.

On suit en parallèle l’histoire du mangaka emporté dans cet univers et devant en sortir pour boucler son projet mais bien en mal d’y parvenir puis en panne d’inspiration, et l’histoire propre à l’univers de son manga où ses héros doivent mettre en point final à l’entreprise du méchant qu’ils poursuivent. Ces scénarios imbriqués l’un dans l’autre seraient déjà passionnants à suivre individuellement mais ensemble, c’est fantastique.

Pour autant, on se retrouve plus dans une histoire concept qu’une histoire où les personnages ont des personnalités marquantes. Je n’ai pas ressenti d’accroche particulière vis-à-vis d’eux, même s’il y a peut-être du potentiel avec Satoko qui reproche à son créateur tout ce qu’il lui a fait vivre ou avec Rin qui lui en veut pour son désir de le tuer, mais pour le moment la mise en scène de ces sentiments est un peu mince à mon goût, l’action prenant le pas sur tout le reste.

Avec brio, Satoshi Kon nous entraîne effectivement dans une course-poursuite permanente où le héros mangaka se retrouve propulsé aux quatre coins de son héros. La mise en scène et la mise en page sont brillantes. Il y a cette ouverture déstabilisante où on se demande où on se trouve. Puis, il y a cette volonté permanente de briser les cases et d’interagir avec le matériau même du manga : esquisses, décors, scénarios et planches mêmes. C’est une idée fabuleuse et il fallait un auteur à l’esprit aussi psychédélique que lui pour y réussir car ce n’est pas simple de tirer une ligne claire d’une telle tambouille qui a tendance à emporter le récit dans plein de directions différentes, mais il y parvient.

Après avoir adoré ces oeuvres portées par l’émotion (Le pacte de la mer, Fossiles de rêves) et celle avec un univers géo-politique futuriste extrêmement prometteur (l’inachevé Seraphim), Satoshi Kon se montre également brillant dans le manga concept, avec ce héros briseur perpétuel de Quatrième mur, qui nous propose une aventure enlevée, bourrée de références et de réflexions sur son métier. Je suis assez époustouflée par le résultat !

Tome 2 – Fin / Arrêt

Ô frustration, ô pas de bol ! Voilà-t-il pas la seconde série inachevée de l’auteur que je lis. Autant j’étais prévenue pour la première, autant je n’avais pas vu venir celle-ci et je suis toute chagrinée car les concepts étaient tellement originaux que j’aurais aimé les voir portés jusqu’au bout.

Avec la fin du magazine de prépublication, Opus prend fin au Japon sans que Satoshi Kon puisse y mettre un point final. Pour la sortie en tome relié, il nous offre bien quelques pages de crayonnés en plus mais qui font plus office de monologue intérieur où il raconte le contexte de l’arrêt de l’oeuvre qui se goupillait bien pour lui car il avait un film sur le feu qui allait lui prendre pas mal de temps. Mais côté histoire, il n’apporte pas grand-chose et que c’est frustrant.

Moins psychédélique que le premier tome, cette suite est plus axée polar. Les héros et leur auteur se lancent à la poursuite du Masque que Rin cherche à éliminer, ce qui met en danger tout leur univers et donc leurs existences. Même si c’est plus classique et plus sage, j’ai à nouveau aimé les trouvailles graphiques de l’auteur qui continue de briser le 4e mur et de se mettre en abyme avec beaucoup de talent. Les failles du scénario et de son espace-temps qui se matérialisent dans les cases sont une superbe trouvailles !

C’est palpitant aussi de suivre notre mangaka aux côtés de ses coéquipières dans le passé de Satoko. J’ai adoré ce nouveau mélange inattendu. On passe de la SF pur jus à du polar mâtiné de pouvoirs para-psy. Je ne sais pas si c’est voulu, mais de plus, Rin m’a semblé être un vibrant hommage au personnage du même nom dans Please save my Earth, shojo manga de SF écolo signé Saki Hiwatari et publié un peu avant. On y retrouve la même figure du jeune héros doté de pouvoirs qui veut se faire justice lui-même face aux adultes. Il y a même des mises en scène qui semblent tout droit tirées de PSME. Etant fan du shojo, j’adore !

Quant au polar bien que classique, il est archi prenant, car on est à la source de l’oeuvre de l’auteur-personnage et que c’est passionnant de découvrir Satoko, jeune, en danger face à celui qui deviendra le masque. C’est pourquoi après autant de tension et de rythme, c’est d’autant plus frustrant de lâcher l’oeuvre au moment où elle se transforme et se transfigure. Je suis assez dégoûtée…

En deux tomes, Satoshi Kon avait réussi à imaginer un concept assez dingue, porté par une narration et mise en scène psychédélique palpitante et étrange, où la mise en abyme de l’auteur était fascinante avec sa façon bien à lui, c’est-à-dire grinçante, de briser sans cesse le 4e mur et de raconter son quotidien de mangaka ainsi que celui de ses collègues avec une belle originalité. C’est ainsi d’autant plus frustrant de voir la série s’arrêter en si bon chemin. On gardera en tête cet excellent début mais on aura dans un coin la frustration de ne jamais avoir la fin une fois de plus. Décidément, il a tout de l’artiste maudit, le pauvre entre ça et sa mort si jeune !

 > N’hésitez pas à lire aussi l’avis de : Génépi et Argousier, Vous ?

Ce diaporama nécessite JavaScript.

4 commentaires sur “Opus de Satoshi Kon

  1. Je n’avais pas pensé à tout le réseau de références que tu évoques dans le manga, mais je trouve ça intéressant et je pense que ça contribue au côté mise en abyme.

    Sinon, ça m’est venu comme ça : tu as acheté le manga neuf, ou tu l’as trouvé au marché Opus ?

    Aimé par 1 personne

    1. Ah enfin une blague ! (Le pire c’est que tu as raison pour le premier 😉)
      Merci, j’avoue avoir trouvé assez amusant de les noter et encore je pense qu’il m’en manque pas mal. L’auteur a aussi un pur côté fanboy ici, je trouve

      J’aime

Laisser un commentaire