Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Gokinjo, une vie de quartier (Deluxe) d’Ai Yazawa

Titre : Gokinjo, une vie de quartier

Auteur : Ai Yazawa

Année de parution vf : 2004-2005

Editeur vf : Delcourt

Nb de tomes : 4 en version double (série terminée)

Résumé du tome 1 (double) : Mikako et Tsutomu sont amis depuis toujours, ils habitent le même immeuble, fréquentent le même lycée d’art : l’Académie Yazawa. Quand un soir Tsutomu rentre chez lui accompagné d’une fille, le cœur de Mikako vacille. Quel est cet étrange sentiment ? Pourquoi est-elle troublée à ce point ? L’amitié qu’elle partage avec son ami d’enfance ne lui suffirait-elle plus ?

gokinjoMikako_Gokinjo_Monogatari_2_by_AmanoHikari

Mes avis :

Tome 1

Ancien shojo d’Ai Yazawa, Gokinjo est certainement l’un de mes préférés de l’autrice, si ce n’est mon préféré de par les thèmes qu’il développe mais aussi sa richesse graphique. Je suis fan des designs dans cette série et je conseille à tout le monde son artbook pour les découvrir en plus grand encore !

Mais revenons un peu sur ce premier tome. J’ai été vraiment ravie de relire cette série gaie, sincère et dynamique dans cette nouvelle édition. Celle-ci magnifie le travail de l’autrice grâce à un format un poil plus grand et surtout la conservation de toutes les pages couleurs originales ainsi que la galerie de fin. C’est vraiment un régal pour les yeux ! N’oubliez pas d’enlever la jaquette 😉

L’histoire, elle, est une classique romance entre deux amis d’enfance sur le papier, mais dans la réalité elle est bien plus que ça et cela s’en ressent dès les premières pages. Tsutomu et Mikako ont toujours vécu l’un à côté de l’autre. Ils se sont toujours soutenus et aimés depuis tout petits mais à l’aube de l’âge adulte, il devient de plus en plus difficile pour eux de démêler amour et amitié. Ils sont donc très confus tous les deux et Ai Yazawa rend ceci à merveille dans un récit subtile et sensible.

Je suis d’emblée tombée sous le charme des personnages. Mikako est une douce excentrique à fleur de peau qui apporte beaucoup de mélancolie au titre. Tsutomu, lui, est le type jovial qui est pote avec tout le monde mais qui cache bien plus d’aspérités quand on y regarde bien. Ils évoluent tous les deux dans un cadre à faire rêver le lecteur : une résidence où ils sont voisins et une école prépa d’art : la Yazawa School où ils peuvent tous deux s’épanouir dans leur passion.

Cependant sous ses airs jovials, cette série est plus complexe que ça. On sent dès les premières pages une certaine mélancolie et tristesse dans le titre, comme si les personnages étaient tous à fleur de peau. D’ailleurs, au fil des pages, quand on découvre les amis et la famille de Mikako et Tsutomu, on se rend compte que c’est effectivement le cas. La mère de Mikako l’élève seule. Body Ko, pour qui craque Tsutomu au début, a connu une grosse déception sentimentale qu’elle cache derrière ses beaux sourire. Risa, la meilleure amie de Mikako, a du mal à avouer sa dépendance à son amoureux de toujours. Yosuke, l’ami de Tsutomu, n’a jamais connu l’amour et quand ça lui tombe dessus, ça n’a rien d’une relation facile. Tous ont leur casserole et tous font devoir les surmonter.

Pour cela, heureusement, ils forment une très jolie bande un peu farfelue qu’on va apprendre à découvrir au fil des chapitres. L’autrice prend son temps pour tisser des liens entre eux et dépasser le cadre de l’amour-amitié des deux héros pour nous embarquer dans une histoire plus vaste mais elle y vient joliment avec une belle idée d’Association ayant pour but de vendre leurs créations sur un marché aux puces. Même s’il n’est pour l’instant qu’à peine esquissé, j’ai beaucoup aimé l’école où ils évoluent et le cadre artistique de celle-ci. On sent que ce sont tous de vrais artistes avec le côté torturé qui va bien.

D’ailleurs ce côté très arty se retrouve implacablement dans les dessins d’Ai Yazawa. C’est une influence qu’elle revendique même et à laquelle elle donne ses lettres de noblesse. Les personnages sont hyper stylés et lookés. J’adore d’ailleurs la folie qui se dégage d’eux vestimentairement parlant. On aimera ou pas mais chaque personnage est hyper typé. Les filles ont des visages de poupées, les garçons un côté très décontracte et beau gosse classe un peu à l’ancienne. Perso, je suis fan !

Ainsi ce premier tome fut une très belle mise en bouche où l’autrice nous propose de découvrir une très belle brochette de jeunes artistes torturés qui vivent leurs passions à fond et tant pis si ça les mets au fond du trou parfois si c’est pour leur offrir des moments de grâce quand ça va mieux. Un gros coup de coeur pour ma part !

299491

Tome 2

A peine terminé le tome 1 que je me suis lancée sur sa suite. C’est toujours aussi sympathique notamment grâce à toutes les émotions engendrées par les histoires de famille de Mikako. J’ai adoré !

On ressent vraiment plein de choses en germe dans Gokinjo qui éclateront ensuite dans les oeuvres suivantes de l’autrice (Paradise Kiss et Nana) mais déjà Ai Yazawa a su créer un univers rien qu’à elle où elle ne se gêne pas pour faire des petits clins d’oeil à ses autres oeuvres (Marine Blue, Je ne suis pas un ange) citant des personnages, les faisant intervenir en caméo. C’est vraiment savoureux et ça donne une teinte toute particulière à la lecture quand on est fan de l’autrice.

Mais pour en revenir à Gokinjo, ce tome m’a encore plus chamboulée que le précédent. Encore plus centré sur les émotions des personnages, c’est un tome plus de drames qui nous attend, mais pour autant c’est vraiment fait avec subtilité et sensibilité contrairement à d’autres titres moins travaillés. En effet, l’autrice s’attarde vraiment à la fois sur l’ambiance si particulière qu’elle a créée et dont je parlais déjà pour le tome 1, et sur ses personnages qu’elle bichonne.

Le premier personnage qui est mis sur le devant de la scène, c’est bien sûr Mikako. Il y a d’abord ses sentiments compliqués envers Tsutomu, son ami d’enfance, qui éclatent enfin tant elle n’en peut plus de les garder pour elle, le temps d’une scène d’une rare tendresse où on voit combien leur relation est fusionnelle également. Puis intervient ensuite la raison de son trauma : le divorce de ses parents. Ce n’est pas une chose toujours bien abordée dans les mangas. On passe souvent trop vite dessus ou alors c’est surjoué. Ici, même s’il y a un petit côté rocambolesque dans la forme avec ce père photographe et cette mère mangaka aux personnalités excentriques – ce qui est un peu la touche de fabrique de la série – , l’ensemble sonne très juste, au point que j’ai versé plus d’une larme sur ses chapitres. J’ai vraiment été touchée par la détresse de cette jeune fille qui n’arrivait pas à communiquer sa tristesse de peur de blesser les autres et qui préférait se laisser ronger par celle-ci. Cependant à force de tout concentrer ainsi sur Mikako, l’autrice en oublie un peu trop Tsutomu pour le moment qui n’est vu que comme le petit ami sur qui on peut toujours compter. Il va falloir changer ça.

D’ailleurs Ai Yazawa sait aussi développer les personnages masculins avec brio. Elle le montre avec tragique triangle amoureux : Mariko – Yusuke – Ayumi, qu’on voit naître dans ce tome. Eux aussi, comme l’ensemble des personnages sont à fleur de peau avec des sentiments complexes et compliqués qu’ils ne parviennent pas bien à gérer ce qui leur fait blesser les autres sans le vouloir. Même si on pourrait parfois les détester à cause de leur égoïsme, leur côté changeant ou la peine qu’ils causent, je les adore tous les trois. Mariko me touche énormément derrière son masque de poupée. Yusuke est d’une maladresse désarmante dans cet amour qu’il n’arrive pas à s’empêcher d’éprouver. Et Ayumi est la triste spectatrice de tout ça, en mode « amour sans retour », adorablement touchante. Ai Yazawa capte comme rarement l’a fait une mangaka cette valse hésitante et maladroite des sentiments. On sent qu’ils vivent tous tout à fond en étant sur la brèche et c’est magique.

Malheureusement en mettant autant d’énergie dans ses personnages, ce que je ne peux pas lui reprocher tant elle me fait vibrer, l’autrice en oublie parfois le cadre de son histoire qui est pourtant tout aussi attrayant. En effet, notre bande de copains se lancent avec leur asso dans la vente de leur création. J’aime beaucoup les pages qui développent ce projet, en montrant toute la difficulté. D’abord ce sont encore des ados alors leur humeur fait pas mal varier les choses et leurs relations peuvent compliquer le projet. Ensuite, ils sont encore inexpérimentés et ont besoin qu’on les guide, à l’image de Mikako qui n’a pas pensé aux clients à qui elle veut vendre ses produits. Il y a donc plein de petites choses très concrètes à apprendre de cette expérience, qui fait un excellent cadre de fond aux histoires principales de chacun.

Avec ce deuxième tome, j’ai encore plus vibré pour les aventures de nos héros artistes dont décidément les sentiments collent à la peau, les emportant dans des drames qui m’ont parfois bouleversée. Ce sont certes des drames du quotidien : la jalousie, la perte d’un parent, un amour non retourné… , mais ce n’est pas pour autant que ça ne nous touche pas au plus profond de nous et l’autrice le démontre avec virtuosité !

Tome 3

Ai Yazawa s’y prend vraiment comme une chef pour nous raconter les affres de l’amour à travers le portrait de ses jeunes artistes tellement attachants.

Une fois de plus, elle nous emporte dan un tourbillon de sentiments complexes où elle démontre avec brio que rien n’est blanc ou noir en amour, que rien n’est écrit d’avance et qu’on a beau être très amoureux parfois ça ne suffit pas.

Pour mettre tout ça en scène, deux couples occupent le devant de la scène cette fois : Tsutomu et Mikako bien sûr, mais surtout Yôsuke, Mariko et Ayumi, la spectatrice plus si silencieuse. Je pense que beaucoup aimeront détester Mariko, moi j’en suis fan. Je la trouve terriblement humaine. Elle doute, hésite, se trompe mais elle essaie et se lance. C’est un personnage aux émotions complexes, qui peut avoir l’air d’une bimbo vu de l’extérieur, mais qui est bien plus profonde. Elle est extrêmement touchante et sa relation déchirante avec Yôsuke, loin de m’agacer comme elle aurait pu le faire avec ses incessants rebondissements, m’a plutôt beaucoup émue. Du côté de Mikako et Tsutomu, on est un peu en retrait dans ce tome, mais on sent bien des choses se dessiner. Mikako compte trop sur lui sans rien offrir en retour. Tsutomu est au bord de la rupture. Cela cependant une très belle relation, ancienne et récente à la fois. Mikako se sait pas encore bien gérer ce rapprochement, notamment physiquement, et c’est touchant. Tsutomu prend énormément sur lui parce qu’elle est tout pour lui, c’est adorable mais néfaste.

Cependant Ai Yazawa ne nous propose pas que des romances superbement écrites, elle développe aussi d’autres thèmes. Après les secondes chances avec les parents de Mikako la dernière fois, place à la terrible question de l’avenir, du métier qu’on aimerait faire plus tard quand on est ado. La question est traitée avec beaucoup de subtilité et de justesse, l’autrice nous proposant plein de « modèles » différents. Il y a tout d’abord, Seiji, le nouvel assistant de la mère de Mikako, ancien élève de leur lycée, qui alors qu’il était très doué a préféré se réorienter par passion. A l’inverse, il y a Mariko, qui sent bien qu’elle n’y arrivera pas et qui préfère tout lâcher pour réfléchir à ce qu’elle veut vraiment. Les autres, eux, soit connaissent leur passion, soit la cherchent encore. Yôsuke est un peintre dans l’âme mais il avait besoin qu’on le secoue. Mikako, elle, adore la couture alors pour réaliser son rêve elle est prête à tout sacrifier. Tsutomu, lui, se cherche encore et est complexé vis-à-vis des autres. Autant d’exemples tous riches en enseignements grâce à une autrice qui n’est absolument pas dans le jugement et encore au contraire chacun de ses personnages, ce qui est superbe !

Seul point faible du titre encore et toujours pour moi, l’association Akindo qui peine à devenir quelque chose. Il faut dire qu’ils sont tous tellement pris dans leurs histoires persos que c’est dur de vraiment s’y impliquer. Heureusement que le projet de défilé de l’école arrive pour redonner ce petit coup d’entrain artistique dont j’avais besoin. Parce que si j’aime énormément suivre ces personnages aux émotions à fleur de peau, j’aime aussi les voir exister en tant qu’artistes.

Gokinjo continue donc à être un coup de foudre pour moi. Les sentiments puissants que ressentent les personnages suintent à travers les pages pour nous imprégner nous aussi. C’est déchirant et palpitant.

Tome 4
Une fin magnifique à la hauteur de la série. Ils ont tous bien grandi aussi bien les parents que les enfants, une vraie leçon de vie ! Les personnages sont décidément bien attachants et l’auteur a su calmer ma soif avec un dernier chapitre qui se passe des années plus tard. Graphiquement, c’est aussi dynamique que beau. Maintenant que c’est fini, j’ai envie de relire Paradise Kiss !

Réécriture à venir

Laisser un commentaire