Livres - Mangas / Manhwa / Manhua

Babel de Narumi Shigematsu

Titre : Babel

Auteur : Narumi Shigematsu

Traduction : Alexandre Goy

Éditeur vf : Akata (L)

Année de parution vf : 2022-2024

Nombre de pages  : 5 (série terminée)

Résumé : Europaris, dans le futur… Alors que les livres reliés sont devenus des antiquités, les connaissances de l’humanité sont désormais numérisées et conservées au sein de Bibliotheca, un réseau virtuel qui a pour objectif de réunir et faciliter la diffusion des informations. Cependant, d’étranges phénomènes semblent compromettre la sauvegarde des données… Aussi, en secret, une équipe de « restaurateurs » a été créée. Olsen, jeune homme à l’enfance trouble, est justement sur le point d’intégrer les rangs de cette élite. Mais au cours de son enquête sur les origines de ces « bugs » informatiques, il pourrait bien découvrir des indices sur la disparition de son propre père…

Mon avis :

Tome 1

Narumi Shigematsu, je l’ai découverte à chaque fois dans des univers très différents, la course paralympique dans Running Girl, son premier titre chez nous, puis le drame et la romance historique dans A nos fleurs éternelles, le suivant que l’éditeur a sorti, et désormais, on la retrouve dans un titre mélangeant science-fiction et ésotérisme autour de la question du livre. Elle me fascine !

J’ai été très surprise de découvrir que Babel était un titre antérieur, au Japon, aux deux que nous connaissions déjà. Publié dans le magazine de seinen Ikki, ce titre terminé en 5 tomes a une maturité dans son dessin et la construction de son scénario que je n’avais pas ressenti dans les oeuvres plus récentes de l’autrice. C’est surprenant et étrange à la fois. Alors je m’interroge vraiment sur la part prise par le taisho (l’aide éditorial) dans la construction de ses récits que nous avons eu la chance de lire.

Pour en revenir à Babel, ce titre qui s’inspire directement d’un épisode célèbre de la Bible est un récit qui souhaite nous confronter à notre rapport au livre papier et étant moi-même une férue de ce format, forcément, j’ai adoré. Il y a d’entrée de jeu, une grosse part du récit consacrée à ce médium et à sa transformation en numérique, dans cette société futuriste où le livre papier a quasiment disparu hors rares collectionneurs. L’autrice nous fait ainsi passer tout son amour pour le format physique mais sans renier la praticité du numérique. Mais le récit est ailleurs.

Nous suivons un jeune garçon, Olsen dans un Paris futuriste plus vrai que nature avec son mélange de bâtiments anciens et véhicules futuristes, son mélange d’hologramme futuriste et de foyer quotidien assez similaire au nôtre. Le père d’Olsen est restaurateur à Bibliotheca, ce qui fascine le jeune garçon qui aimerait suivre ses traces. Leur relation est charmante avec un beau focus sur la transmission entre les générations et l’importance de transmettre ce qu’on a sur le coeur. Cependant, tout bascule quand Olsen touche un ouvrage mystérieux remis par les religieux d’un ordre ancien à son père pour son travail de restaurateur.

En plus de la touche futuriste, il y a dans ce récit une dimension ésotérique vraiment fascinante et le trait envoûtant de l’autrice qui diffère bien de celui, plus maladroits, de ses plus récentes nous emporte avec ses volutes. En effet, on découvre que les textes que protège et restaure Bibliotheca ont été parasités par un drôle d’organisme mystique aux allures de fumée qui semble vouloir s’en échapper et nous parasiter. Seul le héros et son père a priori peuvent le remarquer ainsi que les fameux religieux, ce qui ajoute au mystère de son origine et sa raison d’être.

Ce premier tome qui se veut une longue introduction à l’univers m’a donc totalement envoûtée dès ses premières pages dans un Moyen-Âge fantasmé façon Nom des roses ésotérique, jusqu’aux dernières où le jeune héros devenu adulte va se retrouver embarqué dans un mystère qui le dépasse. L’autrice mène parfaitement sa barque, décrivant dans un premier temps un quotidien futuriste qui se veut presque banal en dehors de ce focus sur les livres numériques et/ou papier, puis elle nous alpague quand elle y introduit les mystères du travail du père d’Olsen et elle achève de nous convaincre dès que ce dernier, désormais adulte, pénètre les arcanes de la Bibliothéca et de ce qu’elle cache. C’est insidieux et fascinant avec un dessin fin, racé et virevoltant à la fois avec ces volutes omniprésentes aux airs mystiques.

J’ai frôlé le coup de coeur lors de cette lecture tant je suis fan des mélanges de science-fiction, univers du livre et des mystères ésotériques ajoutés pour agrémenter cela. C’est comme si on nous proposait une version de Library Wars qui dérivait vers de la fantasy. C’est dramatique, sombre et volontiers sérieux avec des réflexions sur la puissance des mots, l’importance de transmettre à nos proches ce qu’on a à leur dire au bon moment et le rôle des livres dans tout ça bien sûr. J’ai adoré être surprise par la qualité de ce travail antérieur de l’autrice dont le trait et l’ambiance m’ont fascinée. J’ai hâte de poursuivre la quête de ce mystère dans les tomes suivants.

Tome 2

Aussi sibyllin que sa couverture, ce deuxième volume nous emmène encore plus dans les mystères de Babel et de ses palimpsestes mais les réponses semblent bien loin et on se perd nous aussi un peu comme le héros.

J’aime beaucoup l’ambiance générale de ce titre, entre mythologie ancienne évoquée par le nom de Babel, science-fiction rétro-futuriste et mystère ésotérique. Les dessins de Narumi Shigematsu dansent sur les pages malgré la maladresse et l’imprécision de leur jeunesse pour donner quelque chose de très particulier, très étrange et immersif, donc parle à merveille la grande Moto Hagio dans la postface qu’elle consacre ici à l’oeuvre.

Cependant ce deuxième volume loin d’apporter des réponses ne fait qu’ajouter de nouvelles nuances au mystère déjà présent. Le héros après son expérience de quasi mort-imminente en ressort avec des inscriptions sibyllines sur le visage et le bras qu’il semble le seul à voir, mais personne autour de lui ne peut l’aider. Il semble donc plonger de plus en plus dans l’introspection et ça donne des allures de folie à sa quête.

Pour corser le tout, l’autrice nous ajoute un souvent fou dans le plus pur style de Desty Nova de Gunnm, qui vient mettre le bazar. Le lecteur ne sait alors plus trop où donner de la tête. Est-il avec ou contre l’organisation religieuse qui régente ces mystérieux manuscrits ? Pourquoi fait-il cela ? Quel est son but et son implication dans tout ça ? Il apporte certes une nouvelle fascination mais aussi beaucoup de questions avec lui et sa créature évanescente également.

Ce tome se lit donc d’une traite mais dans un état propre de l’hébétude tant on peine à comprendre ce qu’il s’y passe de plus que la première fois. Aucune réponse, que de nouvelles questions, de nouveaux personnages et un nouveau sentiment de vertige pour le héros. C’est assez déstabilisant. Je ne dis pas que je n’aime pas mais je me sens tout de même un peu frustrée et je me sentirai un peu pigeonnée si ça débouche sur un tour de passe passe après tant de belles promesses.

Tome de transition pour excellence, cette suite souffre de cette position en n’apportant pas assez de nouveautés significatives. Mais pour autant, elle fascine toujours autant grâce à une marque graphique et un univers entêtant et perturbant sur lequel on ne peut que s’interroger. L’autrice est forte pour nous communiquer le malaise de son héros hébété par tout ce qui se passe. Je croise juste les doigts pour avoir droit à de vraie réponses par la suite et non un effet pschitt.

Tome 3

Me voilà à frôler le coup de coeur avec ce troisième tome si riche et compliqué mais tellement puissant dans sa mise en scène d’une réalité utopique ésotérique complexe, que c’est l’une des premières fois où je vois un texte de SF de cette portée aussi bien portée en manga. Et dire que c’est une oeuvre de jeunesse de Narumi Shigematsu ! Mais pourquoi n’a-t-elle pas continué dans cette veine ?!

J’adore la SF. J’aime celle qui nous interroge, qui nous donne un sentiment de vertige et d’incompréhension, mais dans laquelle on finit par dégager une voie même si celle-ci est parfois compliquée. Sauf que c’est compliqué souvent de rendre ce genre de texte dans une oeuvre graphique. Narumi Shigematsu m’a prouvé ici que c’était possible, bravo à elle !

Celle ne plaira pas à tout le monde car c’est volontiers obscur, brumeux, alambiqué pour ne pas dire incompréhensible parfois. Mais c’est justement ce mystère et sa mise en scène complexe dans toutes sortes de circonvolutions ici qui rend son expression et sa compréhension encore plus puissante quand on y parvient.

Le sentiment d’être perdu ressenti pour le héros, on le partage avec lui, sa quête pour tenter de percer le mystère aussi, du coup. J’ai aimé me perdre avec lui dans les recoins les plus cachés de la BNF pour partir à la recherche de cet ordre religieux qui avait peut-être enfin des réponses sur ces mystérieux symboles qui apparaissent à Olsen. J’ai frissonné à ses côtés en le voyant parcourir ses obscurs couleurs, en le voyant affronter le doyen des religieux et en écoutant leurs échanges tellement brumeux. Mais ce fut d’autant plus jouissif ensuite d’entendre les premières réponses claires sur l’origine et le but de tout ce qui se passe. J’ai adoré !

SPOILER : Alors bien sûr, l’effet de surprise repose sur le fait que le lecteur ne sait pas ce qu’est un palimpseste. Pas de bol, je savais ce que c’était, la surprise fut donc moindre. Mais j’ai beaucoup aimé la dimension ésotérique, philosophique, religieuse, historique et scientifique à la fois que l’ensemble a pris, le tout incarné à chaque fois par des figures marquantes, que ce soit le prêtre à la silhouette de catcheur, le savant fou à la Desty Nova de Gunnm, ou le politicien mystérieux dont on n’aperçoit encore que l’ombre. C’est une mise en scène diablement efficace, inspirée on le sent par bien des classiques de la SF. Ça tombe bien, j’aime ça !

Ce tome fut ainsi plus d’aventure, de questions, mais aussi pour une fois de réponse. On ne laisse plus simplement le héros dans le flou, on lui délivre une partie des mystères et on l’invite à percer les derniers, un mouvement bienvenu à ce stade de l’histoire, parfait pour dynamiser le récit et donner envie au lecteur de ce jeter sur la suite.

Conduit en plus par les dessins lumineux et poétique de l’autrice, les révélations n’en ont que plus de force. J’aime vraiment énormément la façon dont l’autrice donne vie à ce qui ne l’est pas dans cette série. Elle a un trait envoûtant, scotchant, qui surprend par sa finesse, sa poésie et sa spiritualité.

Babel s’affirme donc de plus en plus au fil des chapitres et des tomes comme l’une de mes meilleures lectures de SF en manga. Il met en scène une branche de la SF souvent compliquée à porter en image : celle avec une portée ésotérique et métaphysique. Quand je réalise que c’est l’une des premières oeuvres de l’autrice, je suis scotchée et un peu déçue de voir le côté conventionnel pris par sa carrière ensuite. J’aurais aimé qu’elle continue à nous emporter avec ce genre d’histoire qui sort de l’ordinaire.

Tome 4

Babel est une série quasi coup de coeur pour moi depuis ses débuts, il m’est donc dur de reconnaître que ce tome m’a presque totalement perdu et que je ressors avec le sentiment de ne presque pas avoir avancé mais au contraire d’avoir pataugé dans le marasme de cette étrange bibliothèque…

Je sais que depuis le début Narumi Shigematsu entretient le mystère et que c’est même le moteur de son histoire mais là elle va un peu trop loin. En nous perdant dans les fils de son intrigue entre un religieux mystique et quasiment magique faisant croire à un ami du héros que c’est une sorte de Fight Club magique, une sorte d’esprit qui ère et s’en prend à tout le monde et un héros qui est perdu au milieu de tout ça avec en prime de drôles de souvenirs qui remontent, j’ai été au même stade que lui dans ce tome : perdue. C’est peut-être un effet de style voulu mais c’est très déstabilisant.

Honnêtement, l’intrigue avance peu ici. On comprend que les « religieux » n’en savent pas autant qu’ils le voudraient, que l’entité derrière en fait un peu qu’à sa tête et surtout qu’elle a quelque chose pour Olsen, et que le père de ce dernier en savait bien plus long qu’on le croyait, voilà à peu près les seules avancées intelligibles pour moi. Le reste n’est qu’effets de manches et esbroufe pour enjoliver le cadre. Cela offre de jolies scènes de combat mystiques avec ces espèces d’esprit qui tel le vent fendent l’air et transpercent pages et espace-temps. C’est beau à voir, c’est étrange et intrigant mais ce serait bien aussi que ça participe de la construction du récit et que ce ne soit pas juste là pour faire joli.

L’intrigue n’avance pas vraiment dans ce tome. L’autrice fait du sur place et cherche juste à le camoufler avec de beaux effets comme elle sait désormais le faire. C’est assez surprenant de la voir dans ce monde de délayage quand on la connaît sur ses autres séries où elle va plutôt droit au but. Heureusement que c’est beau dans cette mystérieuse tonalité. Son dessin charme et parvient à nous aider à dépasser ce marasme mais nous faire dire que quand même c’est beau et original comme univers.

Malgré ses manques, ce fut une lecture plaisir, pas autant que les précédentes car j’aime voir où je vais et que la quasi absence de progression à un tome de la fin me gêne, mais c’est tout de même beau, prenant, étrange et mystérieux, vraiment original également de par son univers, alors ça donne envie de percer le mystère avec ce dernier tome en 2024 !

Tome 5 – Fin

Je suis une fan de Science-Fiction et on ne peut pas m’enlever que j’aime à chaque fois les propositions étranges qui me font voyager et réfléchir. Je suis donc partie assez conquise depuis le début par cette série aux étranges manifestations livresques. Cependant, je dois reconnaître qu’à force de vouloir faire dans l’étrange, j’ai surtout trouvé ce final brouillon et le dernier message un peu léger. Bref je termine avec un gros sentiment de « Tout ça pour ça ! »

Quand on part avec des concept aussi flou et difficile à mettre en image qu’ici, ce n’est jamais simple ensuite de développer et d’amener vers une conclusion qui apportera quelque chose. Shigematsu Narumi est tombée dans ce piège. Elle nous livre ainsi ici un tome très dense en terme de pages d’abord, puis d’action, mais assez pauvre au final en message et révélations.

Plus que le concept de ce que j’imagine être cette I.A. de la connaissance qui a échappé à ses maîtres pour tenter de faire fusionner sa réalité et la nôtre, je retiendrai surtout les très belles pages où l’on voit notre monde se dématérialiser touché par un nuage de données. C’était bluffant ! Pour le reste, tout le pseudo ésotérisme, la pseudo mythologie repose sur beaucoup de bluff et de vide à mon sens et fait perdre de sa crédibilité à l’histoire. En roman, cela n’aurait jamais tenu la route pour moi et le suspense m’aurait fait abandonner avant tout il n’y a rien ou si peu derrière au final.

L’autrice tente bien de glisser un peu d’émotion, en faisant intervenir à nouveau les parents du héros, dans la création et l’origine de ce foirage, mais ça ne fonctionne pas vraiment, en dehors du sacrifice de la mère, thème assez récurrent. Elle tente aussi de montrer des phases héroïques avec Olsen qui vient en aide à ses amis et semble vouloir se sacrifier. A nouveau, c’est tellement prévisible que c’en est tout lisse, sans compter sur le fait qu’il est dans une quête tellement personnelle que c’est plus égocentrique qu’autre chose. D’ailleurs la façon dont il s’accroche à tout prix, presque comme un amant, à Ferran, abandonnant ses autres amis, en est l’illustration parfaite.

Si je m’en tiens donc à la mythologie de la série, je dois dire que j’ai eu l’impression d’un ballon de baudruche se dégonflant… La déception. Maintenant d’un point de vue narratif, malgré un trait graphique, qui donne vraiment une touche très personnelle à l’oeuvre, ce que j’adore, je ressors également déçue. Que j’ai trouvé ce tome brouillon, bruyant, mal construit avec des aller-retours qui n’en finissaient pas et beaucoup de blabla pour rien. Le pseudo ésotérisme qu’elle introduit qui flirte avec une certaine érudition livresque à l’ancienne est tellement un joli décor pour cacher le vide du reste, je suis terriblement déçue car je comptais énormément dessus et que j’ai l’impression d’avoir été flouée. Quand on introduit autant de mystères, il faut assurer derrière. Elle n’a pas su le faire. Le mystère du grand livre d’Olsen n’est que du vent et les grands prêtres ne servent pas à grand-chose. Du vide, du vide, du vide.

A vouloir enrober une banale histoire d’I.A. échappant au contrôle de son créateur et mettant l’humanité en péril dans un cadre ésotérique mal maîtrisé, l’autrice montre dans cet ultime volume combien c’était de la poudre aux yeux et c’est la déception. De l’action, de belles planches et c’est à peu près tout ce qu’on retient de ce gloubi-boulga. Je ne suis que tristesse tant les mystères m’avaient appâtée. Mais ce dernier tome fut bien trop flou dans sa narration, bien trop égoïste avec son héros et bien trop vide dans son concept général et sa mythologie pour me satisfaire. J’attendais beaucoup, je suis tombée de haut.

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2 commentaires sur “Babel de Narumi Shigematsu

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